AVRUPA HUKUK BÜROSUAVRUPA HUKUK BÜROSU » | Profesyonel Hukuk Hizmetleri http://avukat-kilinc.com/fr Profesyonel Hukuk Hizmetleri Fri, 20 Mar 2015 06:58:26 +0000 fr-FR hourly 1 http://wordpress.org/?v=4.0.11 LA CONCEPTION DE LA DEMOCRATIE MILITANTE DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPENNE DES DROITS DE L’HOMME http://avukat-kilinc.com/fr/la-conception-de-la-democratie-militante-dans-la-jurisprudence-de-la-cour-europenne-des-droits-de-lhomme/ http://avukat-kilinc.com/fr/la-conception-de-la-democratie-militante-dans-la-jurisprudence-de-la-cour-europenne-des-droits-de-lhomme/#comments Tue, 29 Oct 2013 20:54:23 +0000 http://avukat-kilinc.com/fr/?p=10009 Résumé

La Convention européenne des droits de l’homme reconnaît-elle la conception de la démocratie militante, qui prévoit de mettre en

place des mécanismes de défense active pour éviter que la démocratie et les principes constitutionnels ne soient mis en péril par

LA CONCEPTION DE LA DEMOCRATIE MILITANTE DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPENNE DES DROITS DE L’HOMME

 

Ümit KILINÇ[1]

 

Résumé

La Convention européenne des droits de l’homme reconnaît-elle la conception de la démocratie militante, qui prévoit de mettre en

place des mécanismes de défense active pour éviter que la démocratie et les principes constitutionnels ne soient mis en péril par

l’exercice des droits et libertés ? Dans l’affirmative, comment et sur le fondement de quelle(s) disposition(s) de la Convention la

Cour de Strasbourg assure-t-elle la défense de la démocratie et des valeurs démocratiques contre leurs adversaires qui abusent des

droits et libertés fondamentaux ? L’article tente de répondre à ces questions à la lumière de la jurisprudence européenne et pose les limites de la doctrine de la démocratie militante dans le système de la Convention.

INTRODUCTION

La restriction des droits et libertés des adversaires de la démocratie est toujours problématique devant la Cour de Strasbourg. Celle-ci est amenée à approuver ou désapprouver les mesures limitatives de liberté prises au niveau interne pour protéger le système démocratique du pays. Elle se trouve souvent confrontée à la question de savoir comment résoudre le conflit entre la démocratie, qui est « l’unique modèle politique envisagé par la Convention et, partant, le seul qui soit compatible avec elle »[2], et les libertés fondamentales, dont elle est garante. Dans la résolution d’un tel conflit, la conception de la démocratie militante, qui se résume d’une manière générale par la formule « pas de liberté pour les ennemis de la liberté », apparaît comme un élément important à prendre en considération dans le contrôle de conventionnalité qu’exerce la Cour pour décider de la compatibilité des mesures litigieuses avec la Convention.

L’idée sous-jacente de la doctrine de la démocratie militante est de mettre en place des mécanismes de défense active pour éviter que la démocratie et les principes constitutionnels ne soient mis en péril par l’exercice des droits et libertés. La démocratie est un régime vulnérable et susceptible d’abus et ne dispose pas à l’origine de mécanismes de défense vigoureux et préventifs pour se protéger[3] contre ses ennemis qui veulent la détruire sous prétexte de l’exercice des droits et libertés. C’est la raison pour laquelle elle doit créer sa propre défense contre les actes et activités attentatoires et liberticides. A cet effet, la restriction, voire la déchéance, des droits et libertés fondamentaux peut être justifiée eu égard à la protection et à la survie du régime démocratique et constitutionnel.

La doctrine de la démocratie militante est entrée dans la terminologie juridique par le philosophe allemand Karl Loewenstein, qui dut fuir l’Allemagne pour les États-Unis dans les années 1930. Il écrivit que la démocratie devait être armée pour combattre le fascisme et le nazisme qui pouvaient, en vue de la détruire, utiliser les droits démocratiques et politiques. Pour lui, la démocratie devrait être « militante » et « combative » (fighting democracy) afin d’éviter que « les ennemis entrent dans la ville avec le cheval de Troie ». Elle devrait également être « vigilante » (vigilant democracy) pour connaître et identifier l’ennemi afin de pouvoir le combattre[4].

Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que la doctrine de la démocratie militante a apparu dans les instruments nationaux et internationaux[5], dont les rédacteurs avaient tiré les leçons des expériences du nazisme et du fascisme ainsi que du communisme faisant rage dans toute l’Europe. Pour la première fois, la Constitution de Weimar de la République fédérale d’Allemagne de 1949 a instauré une « démocratie apte à se défendre »[6] contre les activités visant à la suppression du système constitutionnel et démocratique[7]. La loi fondamentale allemande a été suivie par d’autres Constitutions européennes[8], qui adoptent des mesures préventives pour protéger le régime démocratique et constitutionnel contre ses adversaires. La conception de la démocratie militante est donc, à l’origine, une doctrine du droit constitutionnel développée après la guerre en réaction aux régimes du nazisme et du fascisme ayant utilisé la démocratie et les libertés afin de les anéantir.

Dans le système de la Convention, la doctrine de la démocratie militante a été explicitement reconnue lors des travaux préparatoires de la Convention. A ce titre, il n’est pas sans intérêt de rappeler que la Convention a été préparée dans le climat de l’après-guerre et en réaction aux régimes autoritaires. Son élaboration au lendemain de la guerre « constitue une réaction de défense des démocraties européennes contre tout danger potentiel de dictature en Europe »[9]. Les rédacteurs de la Convention souhaitaient faire une rupture « avec les pages les plus noires de l’Histoire »[10] de l’humanité et faire en sorte que l’exercice des droits et libertés qui y sont consacrés ne serve pas de suppression de la démocratie libérale. Les travaux préparatoires de la Convention en témoignent.

En effet, lors de la première session de l’Assemblée consultative relative à l’article 17 de la Convention, le représentant de la Grèce affirma que « [l]a liberté humaine (…) ne doit pas devenir la panoplie d’où ses ennemis pourront librement détacher les armes par lesquelles ils pourront ensuite, en toute liberté, supprimer cette liberté »[11]. Dans le même sens, le représentant britannique Sir David Maxwell-Fyfe mentionna : « Nous ne voulons pas, en faisant preuve de trop de sentimentalisme, donner à des personnes mal intentionnées la possibilité de créer un mouvement totalitaire qui anéantira complètement les droits de l’homme »[12].

Par ailleurs, le discours du représentant turc M. Düsünsel, tenu le 8 septembre 1949 lors de la séance plénière de l’Assemblée consultative, est intéressant car il défendit et justifia manifestement le caractère militant de la démocratie. Il souligna en effet que « si dans un pays démocratique, un jour, quelque parti (…) de tendance nazie, de tendance fasciste, ou de tendance communiste profitant des Déclarations des Droits de l’Homme, (…) fait des tentatives pour écraser la démocratie et en finir avec elle (…), ce pays sera (…) considéré de plein droit comme en l’état de légitime défense de ses droits et de la démocratie »[13].

A cela s’ajoute l’intervention du représentant italien M. Benvenuti, qui proposa l’insertion dans la Convention d’une disposition similaire à l’article 30 de la Déclaration universelle des droits de l’homme[14]. Il indiqua à l’appui de sa proposition qu’« il s’agit d’empêcher que les courants totalitaires puissent exploiter en leur faveur les principes posés par la Convention, c’est-à-dire invoquer les droits de liberté pour supprimer les Droits de l’Homme »[15].

Tout comme les rédacteurs de la Convention, le juge de Strasbourg admet le caractère militant de la démocratie, qui doit être suffisamment « armée » pour se défendre contre ses ennemis. Il appartient au juge européen non seulement d’assurer au niveau européen la protection des droits et libertés garantis par la Convention, mais également d’éviter que l’exercice de tels droits et libertés ne porte atteinte à la démocratie qui représente un élément fondamental de « l’ordre public européen »[16]. Il est conscient qu’assurer la défense de la démocratie signifie promouvoir la Convention et ses valeurs. Si le caractère militant de la démocratie justifie la limitation des droits et libertés, ce n’est pas seulement pour assurer la défense de la démocratie mais également –et paradoxalement– pour protéger les droits et libertés. Les droits et libertés garantis par la Convention ne peuvent en effet être promus et respectés dans « un régime politique véritablement démocratique », comme le précise le Préambule de la Convention. La jurisprudence met souvent l’accent sur l’existence d’un lien étroit entre la Convention et la démocratie, qui est l’unique modèle politique envisagé par la Convention et la seule qui soit compatible avec elle[17]. La juridiction européenne n’omet pas « le contexte historique dans lequel la Convention a été rédigée ». C’est pourquoi elle approuve et accrédite le principe d’une « démocratie apte à se défendre »[18], au vu de l’expérience de l’histoire qu’ont vécue certains pays européens, notamment l’Allemagne. Le « cauchemar du nazisme » ainsi que l’expérience du fascisme et du communisme en Europe justifient la volonté d’instaurer une démocratie militante « apte à se défendre »[19] contre les ennemis, ce pour éviter une répétition de l’histoire douloureuse.

Il n’est donc pas permis, dans le système de la Convention, aux liberticides de bénéficier des droits et libertés conventionnels pour détruire la démocratie. La question qui constitue le fil conducteur du présent article se pose de savoir quels sont les mesures et les moyens envisagés par le juge européen pour protéger la démocratie contre ceux qui veulent la détruire. En d’autres termes, comment et sur le fondement de quelle(s) disposition(s) de la Convention la Cour assure-t-elle la défense de la démocratie et des valeurs démocratiques contre leurs ennemis qui abusent des droits et libertés fondamentaux qui y sont consacrés ?

Dans le système de la Convention, la conception de la démocratie militante se concrétise par l’article 17 de la Convention[20], qui prévoit la déchéance de la protection de la Convention. En faisant jouer cette disposition, la Cour choisit la solution la plus radicale de la conception de la démocratie militante pour assurer la défense de la démocratie et de ses principes (Partie I). En revanche, tout l’exercice des droits et libertés des liberticides ne justifie pas nécessairement l’application de l’article 17 de la Convention, lequel constitue comme une solution non seulement radicale, mais également exceptionnelle. La Cour peut opter pour une solution modérée de la conception de la démocratie militante pour approuver des mesures prises au niveau interne visant à assurer la défense de la démocratie. Dans un tel cas, elle applique les garanties conventionnelles, mais de manière limitée, et tient compte, dans son contrôle de conventionnalité, du danger et de la menace que peut représenter l’exercice des droits et libertés fondamentaux pour la démocratie (Partie II).

Partie I. Une solution radicale de la conception de la démocratie militante : la déchéance de la protection de la Convention

Depuis l’adoption de la Convention, les organes de la Convention sont systématiquement saisis de la question de la limitation des actes et activités contraires à la démocratie. Ceux-ci se présentent sous forme de l’exercice des droits et libertés qui peuvent être limités sur le fondement de la conception de la démocratie militante. Cette conception trouve son origine, dans le système de la Convention, dans le libellé de l’article 17 qui interdit toute activité ou tout acte « visant à la destruction des droits ou libertés reconnus » par la Convention. En effet, le juge Jambrek résume clairement le but de l’article 17 de la Convention : « les exigences de l’article 17 reflètent (…) le souci de protéger la société démocratique et ses institutions »[21]. La Cour confirme la raison d’être de l’article 17 : « On ne saurait exclure qu’une personne ou un groupe de personnes invoquent les droits consacrés par la Convention ou par ses Protocoles pour en tirer le droit de se livrer à des activités visant effectivement à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la Convention ; or pareille destruction mettrait fin à la démocratie. C’est justement cette préoccupation qui amena les auteurs de la Convention à y introduire l’article 17 »[22].

Dans l’affaire Parti communiste d’Allemagne c. République fédérale d’Allemagne, où l’article 17 de la Convention est appliqué pour la première fois, la Commission estime que le parti politique requérant avait pour but d’instaurer, par la voie de la révolution, une « dictature du prolétariat » qui « est incompatible avec la Convention en ce qu’[elle] comporte la destruction de nombre des droits et libertés consacrés par la Convention des Droits de l’Homme »[23]. Peut-on en déduire que le principe de la « démocratie apte à se défendre » et l’article 17 qui en résulte n’ont pas de limites dans le système de la Convention ? En d’autres termes, peut-on soustraire un requérant à la protection de la Convention parce qu’il agi dans le but de détruire la démocratie et les droits et libertés qui y sont reconnus ?

La Commission a affirmé dans l’affaire Lawless c. Irlande[24] que les articles 5 et 6 de la Convention échappaient à la déchéance de l’article 17. Celui-ci, dont le champ d’application est limité aux actes ou activités visant à la destruction de l’ordre libre et démocratique et des droits et libertés énoncés dans la Convention, ne s’appliquait qu’aux droits à la liberté de pensée, à la liberté de la presse et à la liberté de réunion et d’association. Il en ressort qu’un agitateur, qui exerce des activités communistes, fascistes, nationales-socialistes ou, en général, qui a des objectifs totalitaires, peut se prévaloir des droits et libertés prévues dans les articles 5 et 6[25]. La Cour confirme cette position de la Commission et déclare que l’article 17 ne peut être considéré et interprété comme privant toute personne qui cherche à détruire la démocratie de l’ensemble des droits et libertés énoncés dans la Convention[26].

La restriction des droits et libertés selon la conception de la démocratie n’est donc permise que lorsqu’il s’agit des activités livrées ou aux actes accomplis dans le cadre des articles 8[27], 9[28], 10[29] et 11[30] de la Convention. A ces dispositions vient s’ajouter l’article 3 du Protocole n° 1 garantissant le droit à des élections libres[31]. Les États ne sont donc pas autorisés à porter atteinte, en se fondant sur la conception de la démocratie militante, aux droits et libertés intangibles que prévoient les articles 2, 3, 4 et 7 de la Convention, ce même en l’absence de « cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation ». Ils ne peuvent pas s’ingérer non plus dans la jouissance des droits à la liberté et à la sûreté, à un procès équitable et à un recours effectif au sens des articles 5, 6 et 13 de la Convention.

Une fois déterminé le champ d’application de l’article 17 de la Convention, il convient d’examiner comment cette disposition est appliquée aux détracteurs de la démocratie. Depuis l’adoption de la Convention jusqu’à aujourd’hui, l’affaire Parti communiste d’Allemagne est unique en ce qui concerne l’application de l’article 17 aux idées ou activités communistes. En revanche, les organes de Strasbourg ont eu recours à cette disposition sur le fondement du principe de la « démocratie apte à se défendre », notamment lorsque les requérants tiennent des discours racial (A) et négationniste (B).

A. Une « démocratie apte à se défendre » contre le discours raciste

Le discours raciste est une forme de « dégradation » de l’individu et porte atteinte à sa dignité, qui doit être protégée de manière absolue dans le cadre du système de la Convention[32]. Il met également en danger le caractère multiculturel de la société, la démocratie et la paix sociale[33]. La discrimination raciale est systématiquement condamnée à Strasbourg et il est permis aux autorités de l’Etat de lutter au plus haut point contre la discrimination raciale sous toutes ses formes et manifestations[34]. En effet, à l’instar de la Commission, la Cour considère qu’une législation motivée par des considérations raciales constitue en soi un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention[35]. La discrimination raciale, inacceptable dans une société démocratique[36], est une forme de discrimination particulièrement odieuse et, « compte tenu de ses conséquences dangereuses, elle exige une vigilance spéciale et une réaction vigoureuse de la part des autorités. C’est pourquoi celles-ci doivent recourir à tous les moyens dont elles disposent pour combattre le racisme, en renforçant ainsi la conception que la démocratie a de la société, y percevant la diversité non pas comme une menace mais comme une richesse. Un traitement fondé sur l’origine ethnique et la race est inacceptable dans des sociétés démocratiques fondées sur le pluralisme et la diversité »[37]. Il en va de même en ce qui concerne la différence de traitement fondée exclusivement ou de manière déterminante sur l’origine ethnique d’un individu[38].

Pour la juridiction de Strasbourg, les discours fondés sur l’intolérance raciale ne constituent pas des idées défendables dans une société démocratique, mais doivent être punis au regard du droit pénal. Elle affirme en effet que « [l]a tolérance et le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains constituent le fondement d’une société démocratique et pluraliste. Il en résulte qu’en principe on peut juger nécessaire, dans les sociétés démocratiques, de sanctionner, voire de prévenir, toutes les formes d’expression qui propagent, encouragent, promeuvent ou justifient la haine fondée sur l’intolérance (y compris l’intolérance religieuse) (…) »[39].

En présence des discours et actes racistes, la Commission et la Cour ont eu recours, pour protéger la démocratie et ses valeurs, à l’article 17 de la Convention. Ils ont ainsi décidé de la « neutralisation »[40] de certains droits et libertés conventionnels des détracteurs de la démocratie et de déclarer leurs requêtes irrecevables pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention. L’article 17 constitue donc une « arme » de la Convention pour assurer la défense et la survie de la démocratie, contre les requérants qui appellent à la haine raciale, qui agissent dans le but de saper le système politique démocratique et pluraliste et qui poursuivent des objectifs racistes ou propres à détruire les droits et libertés d’autrui[41].

En effet, dans l’affaire Glimmerveen et Hagenbeek c. Pays-Bas, l’ancienne Commission a jugé que les requérants ne pouvaient bénéficier de l’article 10 ni de l’article 3 du Protocole n° 1, parce que la politique préconisée par les intéressés contenait manifestement des éléments de discrimination raciale, interdite aux termes de la Convention, et qu’ils cherchaient essentiellement à utiliser les dispositions de la Convention pour fonder un droit de se livrer à des activités qui contribueraient à la destruction des droits et libertés qui y sont prévus[42]. L’application de l’article 17 s’imposait donc en l’espèce. La Commission est parvenue à la même conclusion dans l’affaire Kühnen c. Allemagne portant sur la condamnation d’un journaliste. Celui-ci prônait dans ses publications le national-socialisme et ravivait le sentiment antisémite dans le but de faire légaliser le Parti national-socialiste. La Commission a considéré que le requérant avait utilisé la liberté d’expression pour asseoir des activités contraires à la lettre et à l’esprit de la Convention et pour détruire les droits et libertés qui y sont reconnus[43].

Ce n’est que dans l’arrêt Jersild c. Danemark[44] du 23 septembre 1994 que la Cour a eu l’occasion de se prononcer sur le caractère militant de la démocratie contre les propos racistes. Elle y a précisé que les « blousons verts », qui avaient tenu des propos racistes lors de l’émission du requérant, ne pouvaient se prévaloir de la protection de l’article 10 de la Convention. Malgré cette fermeté manifeste de la Cour à l’égard des idées racistes, l’article 17 de la Convention est absent et semble rester lettre morte dans sa jurisprudence jusqu’aux années 2000. Cela peut s’expliquer par le fait que, avant le Protocole n° 11, la Commission déclarait les requêtes irrecevables et empêchait ainsi les requérants liberticides d’arriver devant la Cour.

Pour la première fois, dans l’affaire W. P. et autres c. Pologne, la Cour a décidé d’appliquer l’article 17 de la Convention aux activités et propos racistes et antisémites. Les requérants se plaignaient, sous l’angle de l’article 11 de la Convention, du refus des autorités internes d’autoriser la formation de plusieurs associations, dont une était nommée « Association nationale et patriotique des victimes polonaises du bolchevisme et du sionisme ». D’après les statuts de cette association, les Polonais étaient persécutés par la minorité juive et il existait une inégalité entre Polonais et Juifs. La Cour s’étonne non seulement des idées qui peuvent passer pour raviver l’antisémitisme mais également de certaines des observations des requérants soumises devant elle qui témoignent de leurs attitudes racistes. Ces éléments justifient de faire jouer l’article 17, dès lors que les intéressés « cherchent essentiellement à utiliser l’article 11 pour fonder sur la Convention un droit de se livrer à des activités qui sont contraires à la lettre et à l’esprit de la Convention, droit qui, s’il était accordé, contribuerait à la destruction des droits et libertés énoncés dans la Convention »[45].

Par la suite, le recours à l’article 17 dans les affaires où la démocratie et ses valeurs sont considérées comme étant en danger se voit multiplié. En effet, deux mois après la décision W. P. et autres c. Pologne, la Cour adopte la même solution dans l’affaire Norwood c. Royaume-Uni[46] où était en cause la condamnation du requérant, membre d’un parti d’extrême droite, au motif qu’il avait montré à la fenêtre une affiche « Islam out of Britain – Protect the British People ». Pour le juge strasbourgeois, l’image et les propos expriment publiquement une attaque envers les Musulmans vivant au Royaume-Uni, une attaque véhémente perpétrée contre une minorité religieuse qui est incompatible avec les valeurs énoncées et garanties par la Convention, notamment la tolérance, la paix sociale et le principe de la non-discrimination. Le requérant ne peut donc pas bénéficier de la liberté d’expression garantie dans l’article 10, car sa requête tombe sous le coup de l’article 17 de la Convention et est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention[47]. La même solution s’impose dans l’affaire Pavel Ivanov c. Russie où la juridiction européenne soustrait les requérants aux garanties de la Convention, car leurs propos antisémites et les attaques qu’ils ont perpétrées contre la communauté juive sont inacceptables et portent atteinte à la démocratie[48].

La juridiction européenne est consciente que les adversaires de la démocratie évitent aujourd’hui d’exprimer le racisme et la xénophobie dans un langage brut et direct, afin de se faire entendre, de ne pas éveiller la vigilance des tenants de la démocratie et de ne pas leur donner la légitimité de limiter leurs droits et libertés. Sur la forme, leurs discours semblent être acceptables dans un régime démocratique, car ils sont tenus sur un mode en apparence conforme aux canons démocratiques, alors que sur le fond, il s’agit de discours dont l’intention raciste est dissimulée. Les liberticides adoptent une nouvelle stratégie qui camoufle leur intention réelle et qui consiste à abandonner le vieux discours raciste, basé sur la hiérarchie des races et la supériorité d’une race sur les autres, et à montrer au public qu’ils s’intéressent aux problèmes de la société tels que l’immigration, la situation irrégulière des étrangers, la criminalité, l’insécurité, l’intégrisme et le terrorisme. Cette « stratégie de déguisement »[49], bien qu’elle rende sa tâche plus difficile[50], n’échappe pas à l’intention de la Cour qui fait preuve d’une vigilance particulière afin de ne pas légitimer un racisme et un antisémitisme dissimulés.

La Cour se penche sur cette « stratégie de camouflage » des discours racistes et xénophobes dans l’affaire Féret c. Belgique du 16 juillet 2009[51]. Président du parti politique d’extrême droite belge, Front national, et député à la Chambre des représentants de Belgique, le requérant a été poursuivi et condamné à une peine de 250 heures de travail public et à l’inéligibilité pour une durée de dix ans, parce qu’il avait incité à la discrimination, à la ségrégation et à la haine à l’égard des étrangers non européens dans des tracts de son parti politique et sur son site Internet. Les déclarations du requérant montrent manifestement l’intention xénophobe et raciste du parti à l’égard des étrangers non européens, camouflée dans des discours politiques pendant la période électorale.

Dans cette affaire, la majorité de la 2e section de la Cour n’est pas tombée dans le piège de l’extrême droite belge. Elle indique que les discours qui diffament, ridiculisent ou injurient une partie de la population ou des groupes spécifiques dans la société doivent être réprimés par les autorités puisqu’ils constituent un danger pour la paix sociale et la stabilité politique dans les Etats démocratiques. En l’espèce, le message des tracts présentait les étrangers non européens « comme un milieu criminogène et intéressé par l’exploitation des avantages découlant de leur installation en Belgique et tentait aussi de les tourner en dérision. Un tel discours est inévitablement de nature à susciter parmi le public, et particulièrement parmi le public le moins averti, des sentiments de mépris, de rejet, voire, pour certains, de haine à l’égard des étrangers ». La majorité considère donc que « [l]e langage employé par le requérant incitait clairement à la discrimination et à la haine raciale, ce qui ne peut être camouflé par le processus électoral »[52].

La conclusion bienvenue de la Cour montre que les propos racistes et xénophobes, même si les auteurs essaient de les rendre « politiquement corrects »[53] et de les montrer, en apparence, comme conformes à la démocratie, ne peuvent échapper à la vigilance du juge européen. Cependant, la question qui se pose est de savoir pourquoi la Cour refuse d’appliquer dans l’affaire Féret l’article 17 de la Convention, malgré la demande expresse du gouvernement belge[54]. L’arrêt n’a pas d’explication convaincante sur ce point, la Cour se contentant de dire que le contenu des tracts incriminés ne justifie pas l’application de l’article 17 de la Convention en l’espèce. Il se peut que la juridiction européenne choisisse la solution modérée (l’application des garanties de l’article 10) plutôt que la solution radicale (la déchéance de la protection conventionnelle en application de l’article 17), car les deux solutions amènent à la même conclusion : la non-violation de la Convention. Il est également possible qu’elle ne juge pas nécessaire d’appliquer l’article 17 de la Convention, puisque, comme l’écrit M. Haarscher[55], les propos de M. Féret sont modérés et ne sont pas « durs », si on les compare aux idées clairement racistes[56].

Tout comme elle le fait à l’encontre des actes et propos racistes, la Cour fait preuve de fermeté à l’encontre des propos négationnistes, dont les auteurs sont déchus de leurs droits et libertés fondamentaux en application de l’article 17 de la Convention, ce pour protéger la démocratie et ses valeurs.

B. Une « démocratie apte à se défendre » contre le discours négationniste

On ne saurait le résumer mieux que le professeur Wachsmann qui écrit que : « la négation du génocide perpétré par les nazis et leurs complices à l’encontre des Juifs fait partie du projet génocidaire lui-même »[57]. Le négationnisme est un « vecteur privilégié de racisme et d’antisémitisme »[58] et en constitue une variante[59]. Le fait de nier les faits historiques attestés par les survivants et condamnés par le tribunal de Nuremberg revient en effet non seulement à innocenter les actes commis par les nazis mais également à les justifier[60]. Le négationnisme se dissimule dans un discours « juridiquement correct » et utilise le langage des droits de l’homme. C’est pourquoi il enferme le juge dans un faux dilemme : celui-ci est confronté, d’une part, à l’importance de protéger les droits de l’homme et, d’autre part, à la nécessité de lutter contre le racisme[61]. Les organes de la Convention sont conscients du danger du négationnisme et ne sauraient ignorer que, comme Alphonso Spielmann l’écrit, la Convention est née à Auschwitz, à Bergen-Belsen, à Birkenau et à Buchenwald[62].

En effet, pour la Commission, il n’était pas question que les négationnistes bénéficient des garanties conventionnelles pour faire valoir leurs idées et actes incompatibles avec les valeurs fondamentales de la Convention, à savoir la justice et la paix exprimées dans son Préambule. Dans l’affaire Glasenapp c. Allemagne, la Commission a en effet affirmé que « si un gouvernement cherche à protéger la prééminence du droit et la démocratie, la Convention reconnaît elle-même dans son article 17 la priorité de cet objectif qui dépasse même la protection des droits particuliers que garantit la Convention »[63]. Par ailleurs, dans l’affaire Remer c. Allemagne[64], elle a considéré que la liberté d’expression n’était pas protégée dans une société démocratique lorsque l’intéressé diffusait « des publications contestant l’extermination des Juifs dans les chambres à gaz des camps de concentration sous le régime nazi et contenant des accusations d’extorsion ».

Cependant, la Commission se montrait parfois réticente quant au recours à l’article 17 de la Convention, qui lui permettait de déclarer la requête irrecevable pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions conventionnelles. Cette réticence, qui existait dans la décision Remer, demeurait également dans l’affaire Nationaldemokratische Partei Deutschlands, Bezirksverband Munchen-Oberbayern c. Allemagne[65], où la Commission souhaitait, tout comme dans l’affaire Remer c. Allemagne, exercer un contrôle de conventionnalité au regard de l’article 10. Bien que jugeant que certains écrits du requérant allaient à l’encontre des valeurs fondamentales de la Convention, elle hésitait à soustraire celui-ci aux garanties conventionnelles en application de l’article 17 de la Convention[66]. Cette solution était retenue aussi dans les décisions Ochensberger c. Autriche[67], Nachtmann c. Autriche[68], B. H., M. W., H. P. et G. K. c. Autriche[69], Walendy c. Allemagne[70], Honsik c. Autriche[71], Rebhandl c. Autriche[72] et D. I. c. Allemagne[73], où la Commission a refusé de retirer aux requérants les garanties conventionnelles en vertu de l’article 17, malgré les propos et les activités des intéressés négationnistes, incompatibles avec la démocratie et ses valeurs[74]. La Commission a mis fin à cette réticence de faire jouer l’article 17 de la Convention dans l’affaire Marais c. France. Elle y a décidé, à juste titre, de déchoir le requérant de la protection de l’article 10 de la Convention, dès lors qu’il remettait en cause, sous couvert d’une démonstration technique, l’existence et l’usage de chambres de gaz destinées à exterminer massivement des humains[75].

En ce qui concerne la Cour, dans les affaires dont elle était saisie jusqu’en 1998, elle n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur le négationnisme et son incompatibilité avec les valeurs de la société démocratique. Ce n’est que dans l’arrêt Lehideux et Isorni c. France[76] qu’elle condamne les idées négationnistes. Elle y assure que celles-ci, à l’instar des idées et activités racistes, échappent à la protection de la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention, dans la mesure où le négationnisme est une forme d’intolérance raciale incompatible avec les valeurs protégées par la Convention[77]. En se référant à l’arrêt Jersild, la juridiction européenne confirme sa position ferme sur la nécessité de protéger la démocratie contre les idées, activités et politiques racistes et négationnistes : « la négation ou la révision se verrait soustraite par l’article 17 à la protection de l’article 10 » et « la justification d’une politique pronazie ne saurait bénéficier de la protection de l’article 10 »[78].

La Cour ne saisit pas l’occasion que lui donne l’affaire Witzsch c. Allemagne pour appliquer l’article 17 de la Convention dans le cas de ce requérant condamné pour avoir tenu des propos négationnistes dans une lettre adressée aux hommes politiques bavarois[79]. Pour la première fois, dans l’affaire Garaudy c. France[80], le juge européen décide, à juste titre, de la déchéance du requérant des garanties conventionnelles au titre de l’article 17 de la Convention et confirme ainsi sa position intransigeante envers le négationnisme. Le gouvernement français a soutenu que le requérant, dont l’ouvrage remettait en cause la réalité de l’Holocauste et l’existence des chambres à gaz, défendait les thèses négationnistes et devait se voir déchu de la protection de l’article 10 de la Convention. Cet argument est retenu par la Cour qui affirme que l’intéressé nie effectivement la réalité, l’ampleur et la gravité des crimes contre l’humanité commis par les nazis envers la communauté juive, faits historiques qui sont survenus pendant la Seconde Guerre mondiale et qui sont juridiquement établis. Pour la Cour, l’ouvrage ne saurait constituer en aucune manière un travail de recherche historique s’apparentant à une quête de la vérité. Bien au contraire, d’après la Cour, le requérant avait pour but de « réhabiliter le régime national-socialiste, et, par voie de conséquence, d’accuser de falsification de l’histoire les victimes elles-mêmes »[81].

Aux yeux du juge européen, le négationnisme équivaut à la diffamation raciale et à l’incitation à la haine contre un groupe ou une race ou une ethnie : « la contestation de crimes contre l’humanité apparaît comme l’une des formes les plus aiguës de diffamation raciale envers les Juifs et d’incitation à la haine à leur égard. La négation ou la révision de faits historiques de ce type remettent en cause les valeurs qui fondent la lutte contre le racisme et l’antisémitisme et sont de nature à troubler gravement l’ordre public ». Dès lors, le négationnisme des actes commis par les Nazis est incompatible avec la démocratie et les droits de l’homme et va à l’encontre des valeurs de la Convention[82].

Par ailleurs, dans l’affaire Witzsch c. Allemagne du 13 décembre 2005, la Cour a recours encore une fois à l’application de l’article 17. En l’espèce, dans une lettre qu’il a envoyée à un professeur d’histoire, le requérant n’a pas nié l’Holocauste ni les chambres à gaz. En revanche, il a nié le fait que Hitler et son parti avaient prévu, lancé et organisé la tuerie des Juifs, considérant ce fait établi de l’Holocauste comme faux et historiquement insoutenable. Pour la Cour, les opinions exprimées par le requérant dans sa lettre relèvent de la propagande de guerre et des atrocités d’après-guerre, combinée avec la négation de la responsabilité d’Hitler et des socialistes nationaux dans l’extermination des Juifs. De telles opinions vont à l’encontre du texte et de l’esprit de la Convention. Par conséquent, l’intéressé ne bénéficie pas de la protection de l’article 10 de la Convention et l’application de l’article 17 est en jeu en l’occurrence[83].

Selon le juge de Strasbourg, le fait de nier et de mettre en cause « une réalité historique attestée par les survivants »[84] et établie par le Tribunal de Nuremberg ne peut être considéré comme une opinion protégée dans le cadre de l’article 10 de la Convention[85]. Pour lui, le négationnisme est « indissociable du racisme »[86], dans la mesure où les négationnistes tentent, sous prétexte de l’exercice des droits et libertés, de justifier les crimes racistes commis par les nazis. Toutefois, lorsque les discours et propos tenus ne font pas partie de la « catégorie des faits historiques clairement établis –tel l’Holocauste– » et ne peuvent passer pour de la négation, il n’appartient pas à la Cour d’arbitrer des questions historiques qui relèvent « d’un débat toujours en cours entre historiens sur le déroulement et l’interprétation des événements »[87] et « il est primordial dans une (…) société [démocratique] que le débat engagé relatif à des faits historiques d’une particulière gravité puisse se dérouler librement »[88].

La déchéance de la protection conventionnelle prévue par l’article 17 n’est pas la seule arme de la Cour pour défendre la démocratie et ses valeurs par l’approbation des mesures prises au niveau interne à cet égard. La démocratie peut également être protégée dans le cadre du contrôle de proportionnalité qu’exerce la juridiction européenne au titre des articles 8 à 11 de la Convention et 3 du Protocole n° 1. La Cour applique, dans un tel cas, une protection limitée de la Convention aux idées et activités susceptibles de menacer et de mettre en danger la démocratie. Il s’agit donc de passer d’un usage « hard » que prévoit l’article 17 de la Convention à un usage « soft »[89] de la conception de la démocratie militante.

Partie II. Une solution modérée de la conception de la démocratie militante : l’application limitée de la protection de la Convention

Il arrive que les actes et les activités des adversaires de la démocratie soient acceptables dans le cadre du régime démocratique et libéral et qu’ils méritent, par conséquent, la protection de la Convention. Le recours à l’article 17 de la Convention, qui prévoit la « déchéance pure et simple »[90] des libertés fondamentales, est une solution exceptionnelle et radicale qui peut être justifiée en cas de force majeure. Le principe est d’appliquer aux requérants des garanties conventionnelles lorsqu’il n’existe pas d’actes et de propos racistes et négationnistes et lorsqu’il n’est pas établi par des preuves suffisantes et convaincantes que les intéressés se livrent à une activité ou accomplissent un acte visant à la destruction de la démocratie et des libertés fondamentales[91].

Cette solution modérée de la conception de la démocratie militante a déjà été retenue par la Commission, qui souhaitait approuver des mesures internes visant à protéger la démocratie sans recourir à l’article 17 de la Convention. En témoignent l’affaire X. c. Autriche[92] du 13 décembre 1963 qui concerne la condamnation du requérant pour des activités néo-nazies et l’affaire Van Wenbeke c. Belgique[93] du 12 avril 1991 portant sur la condamnation du requérant pour ses activités pendant la Seconde Guerre mondiale. En examinant les requêtes sous l’angle des articles 9 et 10 de la Convention et de l’article 3 du Protocole n° 1, la Commission a décidé en effet que les ingérences étaient prévues par la loi et qu’elles poursuivaient un but légitime. Toutefois, compte tenu du danger et de la menace pour la démocratie, elle a conclu que de telles ingérences étaient nécessaires dans une société démocratique.

La Cour retient aussi, dans de nombreuses affaires, cette solution modérée de la conception de la démocratie militante. En effet, elle n’estime pas nécessaire de déclarer les requêtes irrecevables pour incompatibilité ratione materiae en application de l’article 17, mais préfère y appliquer la protection de la Convention. Cependant, elle tient compte, dans son contrôle de proportionnalité, d’éventuels dangers que présentent pour la démocratie et les institutions du pays certains projets politiques, comme l’instauration des régimes totalitaires (A) et certaines activités liées au terrorisme (B).

A. Une « démocratie apte à se défendre » pour empêcher l’instauration d’un régime autoritaire

Le juge Jambrek écrit que « [l]a Convention européenne a été élaborée pour apporter une réponse aux régimes totalitaires qui avaient été mis en place (…) en Europe, avant et pendant la Seconde Guerre mondiale »[94]. Le rôle du juge européen ne se limite pas à « apporter une réponse aux régimes totalitaires », il lui appartient également d’empêcher, en approuvant des mesures adoptées à cet égard au niveau interne, l’instauration de tels régimes pour protéger la démocratie européenne.

Parmi les régimes jugés incompatibles avec la démocratie et les droits de l’homme figure le national-socialisme[95], dont les adhérents poursuivent incontestablement des actes et objectifs qui visent à détruire la démocratie[96]. Il en va de même en ce qui concerne le fascisme[97]. Quant au communisme, il suffit de rappeler la décision Parti communiste d’Allemagne où la dictature du prolétariat est jugée être un régime incompatible avec la Convention dès lors qu’elle comporte la destruction de nombre des droits et libertés consacrés par la Convention[98].

La raison pour laquelle ces trois systèmes politiques sont considérés comme incompatibles avec la démocratie peut s’expliquer par le fait que la Convention a été rédigée et adoptée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, c’est-à-dire à une époque ou dans un contexte qui a donné lieu à des réactions et des craintes envers le racisme, le national-socialisme et le communisme. C’est pourquoi la Convention proscrit tout régime dictatorial[99], comme en témoignent les travaux préparatoires de la Convention examinés ci-dessus. Cependant, avec la démolition du mur de Berlin, le contexte politique dans l’Europe a profondément changé et les Etats parties au bloc soviétique sont devenus membres du Conseil de l’Europe et ont signé la Convention. Le niveau des menaces et du danger, pour la démocratie pluraliste, du communisme et des partis communistes en Europe, dont une grande partie n’envisage plus la dictature du prolétariat, est réduit. Cela n’empêche toutefois pas le juge européen d’approuver les mesures adoptées au niveau interne pour éviter la mise en place de l’ancien régime communiste et protéger la nouvelle démocratie de l’Europe de l’Est.

La volonté du juge européen de protéger le nouvel ordre démocratique instauré dans les pays postcommunistes d’Europe contre l’ancien régime communiste totalitaire apparaît pour la première fois dans l’affaire Rekvényi c. Hongrie, qui concerne l’interdiction des membres de la police à s’affilier à un parti politique[100]. Une telle volonté se concrétise dans l’affaire Ždanoka c. Lettonie. Dans cette affaire, la requérante s’est vue interdire de participer aux élections législatives pour avoir joué un rôle actif dans le Parti communiste, lequel était impliqué dans la tentative de renversement par la violence du régime démocratique nouvellement établi. Pour la Cour, cette restriction est justifiée en Lettonie, compte tenu du contexte historico-politique ayant conduit à l’adoption du nouvel ordre démocratique, et de la menace que représente pour la démocratie la résurgence d’idées qui risqueraient de conduire à la restauration d’un régime totalitaire si on les laissait gagner du terrain[101].

La Cour est confrontée, notamment dans des affaires turques, au danger de l’instauration de la charia, régime qui est aussi incompatible avec la démocratie et la Convention. Contrairement au national-socialisme, au fascisme et au communisme, le régime théocratique et le danger qu’il présente pour la démocratie n’étaient pas envisagés par les rédacteurs de la Convention. Cela n’implique toutefois pas qu’il faille permettre aux extrémistes d’instaurer, sous prétexte de l’exercice des droits et libertés, un tel régime. Lorsqu’un tel danger est présent, l’Etat, en se fondant sur la conception de la démocratie militante, « doit pouvoir raisonnablement empêcher la réalisation d’un [tel régime] politique avant qu’il ne soit mis en pratique par des actes concrets risquant de compromettre la paix civile et le régime démocratique dans le pays »[102]. L’intervention préventive des Etats pour protéger la démocratie est leur obligation positive, au titre de l’article 1 de la Convention, d’assurer le respect des droits et libertés des personnes relevant de leur juridiction[103].

La question du danger de l’instauration d’un régime fondé sur les règles religieuses est soulevée dans l’affaire Refah Partisi (Parti de la Prospérité) c. Turquie, qui concerne la dissolution du parti politique Refah par la Cour constitutionnelle turque en raison de ses activités antilaïques. Le juge constitutionnel turc a reproché au parti politique requérant de mener une politique afin d’instaurer la charia en détruisant le système démocratique et laïc en Turquie. Le juge européen, quant à lui, partage l’avis du juge turc et considère que la charia est un régime incompatible avec la démocratie, dès lors qu’un tel système « reflète fidèlement les dogmes et les règles divines édictées par la religion, présente un caractère stable et invariable et se démarque nettement des valeurs de la Convention, notamment eu égard à ses règles de droit pénal et de procédure pénale, à la place qu’il réserve aux femmes dans l’ordre juridique et à son intervention dans tous les domaines de la vie privée et publique conformément aux normes religieuses »[104]. La lapidation, les coups de fouet ou la flagellation et l’amputation des mains sont des traitements autorisés et ordonnés par la loi musulmane, mais incompatibles avec la Convention, fondée sur la démocratie et le respect des droits et de l’homme[105]. Par ailleurs, certains principes de la démocratie, tels que le pluralisme dans la participation politique ou l’évolution incessante des libertés publiques, sont étrangers au régime inspiré de la charia et fondé sur elle[106].

Le caractère militant de la démocratie turque et les mesures prises au niveau interne pour la protéger contre les dirigeants du Refah qui souhaitaient instaurer un régime fondé sur la charia est approuvé à Strasbourg. La juridiction européenne estime qu’il est nécessaire de faire échouer les mouvements totalitaires, organisés sous la forme de partis politiques, dont le but est de mettre fin à la démocratie. Avec l’arrêt Refah, la conception de la démocratie militante prend sa place dans le système de la Convention et devient un principe (feature) du droit européen[107] dont la Cour tient compte lors de son contrôle de conventionnalité. Le juge strasbourgeois se montre sévère envers les partis politiques extrémistes, lorsqu’il affirme qu’ils ne peuvent se prévaloir de la protection de la Convention s’ils proposent un projet politique qui ne respecte pas la démocratie ou qui vise à la destruction de celle-ci ainsi que la méconnaissance des droits et libertés qu’elle reconnaît[108].

Toutefois, tous les projets politiques proposés par des formations politiques et incompatibles avec les principes constitutionnels et la structure unitaire et laïque de l’Etat n’impliquent pas nécessairement qu’ils soient également incompatibles avec la démocratie telle que conçue par la Convention et la Cour de Strasbourg[109]. Celle-ci examine l’ensemble des circonstances de la cause, notamment les statuts, le programme et les activités des partis politiques pour déterminer s’ils se prévaudraient de la Convention pour se livrer à une activité ou accomplir un acte visant à la destruction de la démocratie et des droits et libertés qu’elle reconnaît[110]. Il ressort également de sa jurisprudence que la Cour se sert de certains critères lui permettant d’approuver ou de désapprouver des « mesures militantes » prises en droit interne pour protéger le régime démocratique face au danger et à la menace de l’instauration d’un régime autoritaire. Quels sont ces critères ? Sont-ils alternatifs ou cumulatifs pour la justification de la restriction des droits et libertés politiques eu égard à la conception de la démocratie militante ?

Le premier critère consiste à examiner le système politique lui-même. Celui-ci, qui risque d’être instauré dans un pays membre du Conseil de l’Europe, doit lui-même être compatible avec les principes démocratiques fondamentaux. Tel n’est manifestement pas le cas pour les régimes comme le national-socialisme, le fascisme, le communisme basé sur la dictature du prolétariat et la charia. Il en va autrement s’agissant de la monarchie constitutionnelle telle qu’elle est instaurée dans certains pays européens où le roi ou la reine occupe une position institutionnelle. La Cour souligne néanmoins que les principes qui se dégagent de sa propre jurisprudence en matière de démocratie et de régime républicain sont en théorie valables aussi en ce qui concerne un régime monarchique[111].

Le deuxième critère concerne les moyens utilisés pour atteindre l’objectif consistant à supprimer la démocratie. D’après la Cour, ceux-ci doivent être légaux et démocratiques. En d’autres termes, le requérant ne doit pas recourir ou inciter au recours à la violence, qui est inadmissible dans une démocratie fondée sur le respect des droits de l’homme. Ces deux premiers critères se complètent, comme le précise la Cour dans l’affaire Linkov c. République tchèque. Elle y indique que le changement de la législation en matière de rétroactivité de la peine sans recourir à la violence n’est pas incompatible avec les principes démocratiques fondamentaux[112]. Dans le même sens, dans l’affaire Zhechev c. Bulgarie, la Cour considère que la monarchie, telle que défendue par l’association, et une campagne en faveur d’un changement de l’ordre juridique et constitutionnel ne sont pas en soi incompatibles avec les principes de la démocratie, à moins que les moyens pour atteindre ces buts soient violents et non démocratiques[113]. La combinaison des deux critères est également soulignée dans l’arrêt Gündüz c. Turquie où la Cour déclare que le simple fait de défendre la charia, sans en appeler à la violence pour l’établir, est admissible dans le cadre de la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention[114].

Le troisième critère porte sur l’existence d’un danger tangible et imminent pour la démocratie et ses institutions. Le danger doit être non seulement réel, mais également suffisamment proche, une simple suspicion n’étant pas suffisante pour justifier la restriction des droits et libertés au nom de la protection de la démocratie. Cette condition peut être constatée dans l’affaire Refah Partisi. En se référant aux élections législatives tenues en 1995, aux élections municipales de novembre 1996 et aux sondages, la Cour conclut que le parti politique avait, au moment de la dissolution, un potentiel réel de s’emparer seul du pouvoir politique et cela lui aurait permis d’établir le modèle de société qu’il envisageait. Dès lors, les chances réelles qu’avait le parti politique requérant de mettre en application son programme à la suite de son accès au pouvoir donnaient un caractère plus tangible et plus immédiat au risque d’instaurer la charia dans le pays[115].

Le dernier critère qui est lié au troisième consiste à déterminer le pouvoir de changer le régime politique démocratique en instaurant un régime incompatible avec la démocratie. Il convient de constater cette condition dans l’affaire Gündüz c. Turquie, où le requérant avait été condamné pour avoir défendu l’instauration de la charia en Turquie, comme c’était le cas dans l’affaire Refah Partisi. Cependant, la Cour fait une distinction entre les deux affaires, soulignant qu’à la date de sa dissolution le parti politique Refah disposait, contrairement à M. Gündüz qui était un simple individu, d’un potentiel réel de s’emparer du pouvoir politique pour mettre en place un régime fondé sur la charia[116].

La restriction des droits et libertés fondamentaux sur le fondement de la conception de la démocratie militante ne peut être justifiée au regard de la Convention que lorsque les éléments examinés ci-dessus sont réunis. L’action préventive de l’Etat pour protéger la démocratie et pour éviter l’instauration d’un régime autoritaire peut ainsi être jugée légitime. La Cour l’indique clairement : « on ne saurait exiger de l’Etat d’attendre, avant d’intervenir, qu’un parti politique s’approprie le pouvoir et commence à mettre en œuvre un projet politique incompatible avec les normes de la Convention et de la démocratie »[117]. Lorsque les mesures concrètes visant à réaliser ce projet sont adoptées et que le danger pour la démocratie est suffisamment démontré et imminent par les autorités, l’intervention de l’Etat est jugée justifiée.

En revanche, lorsque ces conditions ne se trouvent pas réunies, le recours à la démocratie militante pour restreindre les droits et libertés fondamentaux n’est pas justifié au regard de la Convention. Cela peut être le cas pour la déchéance automatique du mandat parlementaire des députés élus[118], la dissolution[119] et le refus d’enregistrement des partis politiques[120] et des associations[121], des atteintes à la liberté d’expression[122] et à la liberté d’association[123] et le refus de la candidature pour les élections[124].

La conception de la démocratie militante se manifeste traditionnellement dans les discours de haine, racistes et négationnistes et dans des tentatives d’instauration des régimes autoritaires. Aujourd’hui, elle est considérée comme un des motifs pour justifier la restriction des droits et libertés dans la lutte contre les mouvements radicaux, notamment des partis politiques et leurs activités[125]. Depuis les attaques du 11 septembre 2001, la conception de la démocratie militante apparaît de manière de plus en plus fréquente dans la jurisprudence de la Cour pour justifier la limitation des droits et libertés des personnes ou regroupements liés au terrorisme.

B. Une « démocratie apte à se défendre » pour empêcher la menace du terrorisme

Dans le système de la Convention, il est permis aux autorités de limiter les droits et libertés fondamentaux pour protéger la démocratie contre le danger du terrorisme, dès lors que celui-ci menace en permanence la société, les institutions démocratiques et les droits et libertés fondamentaux. Les Etats se doivent de sanctionner des actes de terrorisme et d’adopter, dans le respect des principes de la démocratie et de l’État de droit, des mesures spécifiques pour les prévenir. Toutefois, ils ne disposent pas d’un pouvoir illimité et ne peuvent échapper au contrôle judiciaire effectué à Strasbourg. Le contrôle de la Cour consiste à déterminer si les mesures adoptées par les autorités nationales dans la lutte contre le terrorisme et la restriction des droits et libertés fondamentaux qui en résulte sont justifiées au regard de la Convention. Il s’agit de mettre en balance les intérêts concurrents que constituent la lutte contre le terrorisme et le respect des droits et libertés. La question de savoir de quel côté penche la balance dépend notamment de la liberté en question, de l’intensité de la menace et de la vulnérabilité des institutions démocratiques face au danger du terrorisme.

La Cour admet le caractère militant de la démocratie dans la lutte contre le terrorisme, même si l’ordre constitutionnel du pays ne reconnaît pas le modèle de « démocratie militante »[126]. En effet, dans l’affaire Klass et autres c. Allemagne, elle souligne que compte tenu du « développement du terrorisme en Europe au cours des dernières années » et de ses menaces pour les sociétés démocratiques, l’État « doit être capable, pour combattre efficacement ces menaces, de surveiller en secret les éléments subversifs opérant sur son territoire »[127]. La volonté de la Cour de protéger une « démocratie est apte à se défendre » contre le terrorisme est donc sans équivoque.

En matière de liberté d’expression, la Commission a approuvé aussi les « mesures militantes » adoptées au niveau interne pour assurer le régime démocratique contre le terrorisme[128]. Elle a affirmé : « La victoire sur le terrorisme constitue un intérêt public de toute première importance dans une société démocratique [car il a pour but] de renverser le régime démocratique qui garantit cette liberté et les autres droits de l’homme »[129]. En la matière, la Cour confirme que la liberté d’expression ne doit pas servir de tribune de transmission des thèses et déclarations des terroristes[130].

Dans les affaires relatives à la dissolution des partis politiques, la Cour cherche récemment s’il existe des liens entre les organisations terroristes et les partis politiques. En effet, dans l’arrêt Batasuna et Herri Batasuna c. Espagne, elle approuve la décision de dissolution des partis politiques Batasuna et Herri Batasuna au motif que leurs projets politiques, leurs activités et leurs liens étroits avec l’ETA constituaient un danger important et une menace pour la démocratie espagnole. Pour la Cour, les partis politiques qui « représentent une forme d’association essentielle au bon fonctionnement de la démocratie »[131] doivent non seulement se désolidariser avec le terrorisme et mais également condamner les actes terroristes. Il ne faut pas que leurs actes et discours constituent un ensemble donnant une image nette d’un modèle de société conçu et prôné par le parti et qui serait en contradiction avec le concept de « société démocratique »[132].

Dans la lutte contre le terrorisme, la Cour a recours à certains éléments pour déterminer si la dissolution des partis politiques et la restriction des actes et discours politiques sont justifiées au regard de la conception de la démocratie militante. Tout d’abord, comme il est indiqué ci-dessus, elle vérifie l’existence de liens avec l’organisation terroriste, liens qui doivent être étroits et considérés objectivement comme une menace pour la démocratie[133]. En l’absence de tels liens, la restriction des activités politiques n’est pas justifiée[134]. Elle recherche également la responsabilité des requérants pour les problèmes que pose le terrorisme dans le pays[135]. L’évolution historique et le contexte politique du pays sont deux autres éléments importants à prendre en compte dans le contrôle de conventionnalité. Dans l’arrêt Batasuna et Herri Batasuna, la Cour juge en effet que « la situation existant en Espagne depuis de nombreuses années concernant les attentats terroristes, plus spécialement dans la « région politiquement sensible » qu’est le Pays basque »[136], justifie la dissolution des partis politiques. Par ailleurs, dans l’affaire Zana c. Turquie, elle estime nécessaire d’examiner « la teneur des propos du requérant à la lumière de la situation qui régnait à cette époque dans le Sud-Est de la Turquie »[137].

Enfin, la personnalité de l’auteur et l’impact des discours et des activités sur la situation jouent aussi un rôle important pour établir si la démocratie et les institutions démocratiques sont menacées[138]. En revanche, contrairement aux affaires relatives à l’instauration des régimes autoritaires, la Cour ne tient pas compte du caractère réel et imminent du danger du terrorisme pour la démocratie, dès lors que les actes terroristes constituent en soi une menace permanente pour le régime démocratique et qu’ils ont pour but de le déstabiliser pour instaurer la peur et la violence dans la société.

CONCLUSION

La limitation des actes et activités qui menacent et mettent en danger la démocratie dans des pays marqués par les expériences du nazisme, du fascisme, du communisme, du système théocratique et du terrorisme est justifiée au regard de la posture de la « démocratie apte à se défendre ». Lorsque des actes et activités sont jugés racistes et négationnistes, l’article 17 de la Convention trouve, comme expliqué ci-dessus, à s’appliquer. Dans un tel cas, il n’est pas question de contrôler la proportionnalité de la mesure par rapport aux buts légitimes poursuivis et de mettre en balance les intérêts individuels et publics, puisqu’il s’agit de la déchéance totale de la liberté. C’est pourquoi Jean-François Flauss qualifie l’abus de droit au sens de l’article 17 de « guillotine »[139]. Par ailleurs, les Etats ne sont pas tenus de prouver que l’ingérence était « prévue par la loi », poursuivait un des buts légitimes et était « nécessaire dans une société démocratique », comme l’exige le second paragraphe des articles 8 à 11 de la Convention. La marge d’appréciation n’est pas à avancer non plus par les Etats défendeurs pour justifier la restriction des droits et libertés fondamentaux. Il n’y a pas lieu de chercher si le danger et la menace que présentent les actes ou activités racistes et négationnistes sont proches ou imminents pour la démocratie, puisque des actes ou activités racistes et négationnistes sont par nature inacceptables dans la démocratie et constituent des délits punissables au regard du droit pénal. Par ailleurs, en cas d’application de l’article 17 de la Convention, seuls le contenu et le but des discours, des actes ou des activités sont examinés par la Cour, les autres éléments, tels que la personnalité de l’auteur, l’effet de ses actes sur le public et le contexte politique et historique du pays sont exclus du contrôle de conventionnalité.

Cependant, pour la Cour, la déchéance de la protection conventionnelle sur le fondement de l’article 17 est une solution radicale qu’il ne faut prévoir que dans des circonstances exceptionnelles. Comme l’écrit Françoise Tulkens, l’article 17 « pourrait être le prétexte des pires abus »[140] de la part des autorités internes[141]. Il faut donc éviter « l’abus de recours » à « l’abus de droit » sur le fondement de l’article 17, dès lors que, sous prétexte de protection de la démocratie, il est possible d’interdire toutes les activités politiques adverses pour préserver l’opinion unique de l’Etat ou du gouvernement au pouvoir. Cela risque non seulement de porter atteinte au pluralisme dans la société et mais également d’aboutir à l’instauration d’un régime véritablement autoritaire qui ne tolère pas les différences. Il est en effet possible que la protection excessive de la démocratie en vienne à supprimer même la démocratie elle-même. C’est pourquoi les mesures adoptées en droit interne pour protéger la démocratie contre les liberticides doivent être légales et respecter les règles démocratiques. Le recours aux moyens antidémocratiques et illégaux n’est pas admis et doit être considéré comme un acte arbitraire de l’Etat.

Lorsqu’il s’agit du danger de l’instauration d’un régime autoritaire et de la lutte contre le terrorisme, la pérennité de la démocratie a des effets sur le contrôle de proportionnalité de la Cour[142]. La Cour est amenée à trouver une juste conciliation entre les impératifs de la défense de la société démocratique, d’un côté, et ceux de la sauvegarde des droits individuels, de l’autre[143]. Le principe de proportionnalité est donc au cœur de l’idée de la démocratie militante qui apparaît dans la jurisprudence de la Cour comme une justification de la limitation des droits et libertés fondamentaux[144]. Lorsqu’il existe une menace réelle et imminente pour la démocratie, la balance penche du coté de la démocratie et les intérêts du public priment sur celui de l’individu. Par ailleurs, l’Etat se voit reconnu une marge d’appréciation large et le contrôle de conventionnalité est exercé au regard du second paragraphe des articles 8 à 11 de la Convention et de l’article 3 du Protocole n° 1. Dans le cas contraire, la Cour privilégie les droits et libertés fondamentaux et sanctionne les mesures prises au niveau interne dans le but de sauvegarder la démocratie et les institutions démocratiques.



[1] Docteur en droit et juriste à la Cour européenne des droits de l’homme. Les opinions exprimées dans le présent article sont propres à l’auteur et n’engagent pas l’institution à laquelle il appartient.

[2] Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier 1998, n° 19392/92, § 45.

[3] Andras Sajo, « Militant democracy and transition towards democracy », in Militant democracy, Andras Sajo (éd), Eleven International Publishing, Utrecht, 2004, pp. 209-230, spéc. p. 209.

[4] Karl Loewenstein, « Militant Democracy and Fundemental Rights (I) », American Political Science Review, 1937, vol. 31, n° 3, pp. 417-432; « Militant Democracy and Fundemental Rights (II) », American Political Science Review, 1937, vol. 31, n° 4, pp. 638-658, articles publiés également in Andras Sajo (éd.), Militant Democracy, op.cit., pp. 231-262. Voir également Karl Loewenstein, « Legislative Control of Political Extremism in European Democracies », Columbia Law Review, 1938, p. 591, cité par Paul Harvey, « Militant Democracy and European Convention on Human Rights », European Law Review, 2004, pp. 407-420, spéc. p. 407 et par Rory O’Connell, « Militant Democracy and Human Rights Principles », Constitutional Law Review, November 2009, n° 1, pp. 84-90, spéc. p. 84.

[5] Pour reprendre les termes de M. Le Mire, « ni les déclarations américaines, ni les déclarations françaises ni les constitutions européennes du XIXe siècle ne contenaient de dispositions traduisant une telle approche » (Pierre Le Mire, « Article 17 », in La Convention européenne des droits de l’homme. Commentaire article par article, sous la dir. de Louis-Edmond Pettiti, Emmanuel Decaux et Pierre-Henri Imbert, Paris, Economica, 1999, pp. 509-522, spéc. p. 509).

[6] Termes que la Cour utilise pour désigner la notion de démocratie militante (Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Vogt c. Allemagne, 26 septembre 1995, n° 17851/91, § 51 ; Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Ždanoka c. Lettonie, 16 mars 2006, n° 58278/00, § 100, et Cour eur. dr. h., arrêt Adamsons c. Lettonie, 24 juin 2008, n° 3669/03, § 120). La Commission a, quant à elle, mentionné les termes « démocratie apte à se défendre » dans sa décision Reisz c. Allemagne (20 octobre 1997, n° 32013/97).

[7] L’article 9 § 2 de la Constitution allemande interdit les associations, dont les buts ou les activités sont dirigés contre l’ordre constitutionnel de l’Etat. Par ailleurs, l’article 18 de la Constitution prévoit la déchéance des droits et libertés fondamentaux pour toute personne qui en abuse pour combattre l’ordre constitutionnel libéral et démocratique. En outre, l’article 21 § 2 permet à la Cour constitutionnelle de déclarer inconstitutionnels les partis politiques qui « tendent à porter atteinte à l’ordre constitutionnel libéral et démocratique, ou à le renverser, ou à mettre en péril l’existence de la République fédérale d’Allemagne ».

[8] Pour la théorie de la démocratie militante dans les systèmes constitutionnels de l’Autriche, du Royaume-Uni, de la France, de l’Espagne, de l’Italie, de la Hongrie et de la Turquie, voir Markus Thiel (éd.), The « Militant Democracy » Principle in Moderne Democracies, Ashgate Publishing Limited, Surrey, 2009.

[9] Alphonse Spielmann, « L’abus de droit et les concepts équivalents : principe et applications actuelles », Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1990, pp. 58-77, spéc. p. 76.

[10] Sébastien Van Drooghenbroeck, « L’article 17 de la Convention européenne des droits de l’homme est-il indispensable ? », Rev. trim.dr. h., 2001, pp. 541-566, spéc. p. 541.

[11] Rec. trav. prép., vol I, pp. 46-47.

[12] Ibidem, vol I, pp. 49-50.

[13] Ibidem, vol I, pp. 149-150.

[14] D’ailleurs, une disposition similaire à l’article 30 de la Déclaration universelle des droits de l’homme a été adoptée, à savoir l’article 17 de la Convention qui en est largement inspiré. Par ailleurs, une disposition quasi identique se trouve dans l’article 5 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et dans l’article 5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

[15] Rec. trav. prép., vol I, pp. 180-181.

[16] Voir, par exemple, Cour eur. dr. h., arrêt Ždanoka, précité, § 98.

[17] Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Parti communiste unifié de Turquie et autres, précité, § 45.

[18] L’opinion concordante de M. le juge Jambrek dans l’arrêt Lehideux et Isorni c. France (Gde Ch., 23 septembre 1998, n° 24662/94).

[19] Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Vogt, précité, §§ 51 et 59.

[20] Sébastien Van Drooghenbroeck, op.cit., p. 542.

[21] L’opinion concordante de M. le juge Jambrek dans l’arrêt Lehideux et Isorni, précité.

[22] Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Ždanoka, précité, § 99.

[23] Comm. eur. dr. h., décision Parti communiste d’Allemagne c. République fédérale d’Allemagne, 20 juillet 1957, n° 250/57.

[24] Comm. eur. dr. h., rapport Lawless c. Irlande, 9 décembre 1959, n° 332/57, p. 191.

[25] Ibidem, p. 192. L’ancienne Commission a affirmé par ailleurs dans l’affaire De Becker c. Belgique ce qui suit : « une personne ne saurait être privée à jamais, en vertu de l’article 17, de ses droits et libertés du seul fait qu’à un moment déterminé elle a manifesté des convictions totalitaires et agi en conséquence » (Voir Comm. eur. dr. h., rapport De Becker c. Belgique, 22 janvier 1960, n° 214/56, § 279).

[26] Cour eur. dr. h., arrêt Lawless c. Irlande, 1er juillet 1961, n° 332/57, § 7.

[27] Voir Comm. eur. dr. h., rapport Klass et autres c. Allemagne, 9 mars 1977, n° 5029/71, § 68.

[28] Voir Cour eur. dr. h., décision Schimanek c. Autriche, 1er février 2000, n° 32307/96.

[29] Voir, parmi d’autres, Cour eur. dr. h., décision Witzsch c. Allemagne, 13 décembre 2005, n° 7485/03.

[30] Cour eur. dr. h., décision W. P. et autres c. Pologne, 2 septembre 2004, n° 42264/98.

[31] Comm. eur. dr. h., décision Glimmerveen et Hagenbeek c. Pays-Bas, 11 octobre 1979, n° 8348/78 et n° 8406/78.

[32] Contrairement à l’article 14 de la Convention (pour l’arrêt de principe, voir Affaire relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique c. Belgique (au principal), 23 juillet 1968, n° 1474/62, n° 1691/62, n° 1677/62, n° 1769/63, n° 1994/63 et n° 2126/64, § 10), l’article 1er du Protocole n° 12 interdit de manière générale toute discrimination, y compris la discrimination raciale, sans justification objective et raisonnable. Pour la première application de l’article 1 du Protocole n° 12 dans la jurisprudence de la Cour, voir Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Sejdić et Jakob Finci c. Bosnie-Herzégovine, 22 décembre 2009, n° 27996/06 et n°34836/06, §§ 53-56).

[33] Gérard Cohen-Jonathan, « Le droit de l’homme à la non-discrimination raciale », Rev. Trim. dr. h., 2001, pp. 665-688, spéc. pp. 670-671.

[34] Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Jersild c. Danemark, 23 septembre 1994, n° 15890/89, § 30.

[35] Voir Comm. eur. dr. h., décision East African Asians c. Royaume-Uni, 14 décembre 1973, n° 4403/70-4419/70, n° 4422/70, n° 4423/70, n° 4434/70, n° 4443/70, n° 4476/70-4478/70, n° 4486/70, n° 4501/70, et n° 4526/70- n° 4530/70 ; Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Chypre c. Turquie, 10 mai 2001, n° 25781/94, §§ 306-311 ; Cour eur. dr. h., arrêt Moldovan et autres c. Roumanie (n° 2), 12 juillet 2005, n° 41138/98 et n° 64320/01, §§ 111-114.

[36] Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Natchova et autres c. Bulgarie, 6 juillet 2005, n° 43577/98 et n° 43579/98, § 145.

[37] Ibidem.

[38] Cour eur. dr. h., arrêt Timichev c. Russie, 13 décembre 2005, n° 55762/00 et n° 55974/00, § 58.

[39] Cour eur. dr. h., arrêt Féret c. Belgique, 16 juillet 2009, n° 15615/07, § 64.

[40] Régis De Gouttes, « A propos du conflit entre le droit à la liberté d’expression et le droit à la protection contre le racisme », in Mélanges en hommage à Louis Edmond Pettiti, Bruxelles, Bruylant, 1998, pp. 251-265, spéc. p. 260.

[41] Voir l’avis de la Commission dans l’arrêt Parti communiste unifié de Turquie et autres (précité, § 23).

[42] Comm. eur. dr. h., décision Glimmerveen et Hagenbeek c. Pays-Bas, précitée.

[43] Comm. eur. dr. h., décision Kühnen c. Allemagne, 12 mai 1988, n° 12194/86.

[44] Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Jersild, précité, § 35.

[45] Cour eur. dr. h., décision W.P. et autres, précitée.

[46] Cour eur. dr. h., décision Norwood c. Royaume-Uni, 16 novembre 2004, n° 23131/03.

[47] Sans appliquer l’article 17 de la Convention, la Cour souligne, dans l’affaire Soulas c. France (10 juillet 2008, n° 15948/03), que la restriction des propos ayant pour objet de provoquer chez le lecteur un sentiment de rejet et d’antagonisme à l’égard de la minorité immigrante et musulmane est justifiée au regard de l’article 10 de la Convention.

[48] Cour eur. dr. h., décision Pavel Ivanov c. Russie, 20 février 2007, n° 35222/04.

[49] Guy Haarscher, « Les périls de la démocratie militante », Rev. trim. dr. h., 2010, pp. 445-466, spéc. p. 454.

[50] Ibidem, pp. 447 et 454.

[51] Cour eur. dr. h., arrêt Féret, précité.

[52] Cour eur. dr. h., arrêt Féret, précité, § 69, §§ 73 et 78.

[53] Guy Haarscher, op.cit., p. 454.

[54] Cour eur. dr. h., arrêt Féret, précité, §§ 49-52.

[55] Guy Haarscher, op.cit., p. 462.

[56] Ces derniers temps, la Cour justifie la non-application de l’article 17. En effet, dans l’affaire Vajnai c. Hongrie, elle affirme qu’il ne ressort pas du dossier que le requérant, en portant au cours d’une manifestation légale l’étoile rouge, a exprimé du mépris à l’égard des victimes d’une dictature (Cour eur. dr. h., arrêt Vajnai c. Hongrie, 8 juillet 2008, n° 33629/06, §§ 21-26). Par ailleurs, dans l’affaire Leroy c. France, la Cour exclut l’application de l’article 17 de la Convention aux actes et activités visant à la destruction de l’impérialisme américain et faisant l’apologie du terrorisme qui ne visent pas « la négation de droits fondamentaux et n’ont pas d’égal avec des propos dirigés contre les valeurs qui sous-tendent la Convention tels que le racisme, l’antisémitisme (…) ou l’islamophobie (…) (Cour eur. dr. h., arrêt Leroy c. France, 2 octobre 2008, n° 36109/03, § 27). La même conclusion est retenue dans l’affaire Orban et autres c. France, qui concerne la publication d’un livre justifiant les actes de torture et les exécutions sommaires commis pendant la guerre d’Algérie (Cour eur. dr. h., arrêt Orban et autres c. France, 15 janvier 2009, n° 20985/05, §§ 35-36).

[57] Patrick Wachsmann, « Liberté d’expression et négationnisme », Rev. trim. dr. h., 2001, pp. 585-591, spéc. p. 585.

[58] Gérard Cohen-Jonathan, « Le droit de l’homme à la non-discrimination raciale », op.cit., p. 668.

[59] Françoise Tulkens, « Les relations entre le négationnisme et les droits de l’homme : la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », in Le droit dans une Europe en changement, Liber Amicorum Pranas Kuris, Vilnius, Mykolo Romerio universiteto Leidybos centras, 2008, pp. 425-445, spéc. p. 441.

[60] Patrick Wachsmann, « Liberté d’expression et négationnisme », op.cit., p. 589.

[61] Françoise Tulkens, op.cit., p. 426.

[62] Alphonse Spielmann, « La protection des droits de l’homme : quid des droits des détenus ? », Protection des droits de l’homme : la dimension européenne, Mélanges en l’honneur de G.J. Wiarda, Köln: Heymann, 1988, pp. 589-594, spéc. p. 590.

[63] Comm. eur. dr. h., décision Glasenapp c. Allemagne, 11 mai 1984, n° 9228/80, § 110.

[64] Comm. eur. dr. h., décision Remer c. Allemagne, 6 septembre 1995, n° 25096/94.

[65] Comm. eur. dr. h., décision Nationaldemokratische Partei Deutschlands, Bezirksverband Munchen-Oberbayern c. Allemagne, 29 novembre 1995, n° 25992/94.

[66] Parfois, la réticence de la Commission est grande. En effet, il est regrettable que la Commission n’ait même pas pris en considération l’article 17 de la Convention, alors que le requérant avait qualifié de mensonge et d’escroquerie sioniste l’assassinat de millions de Juifs (Comm. eur. dr. h., décision X. Allemagne, 16 juillet 1982, n° 9235/81).

[67] Comm. eur. dr. h., décision Ochensberger c. Autriche, 2 septembre 1984, n° 21318/93.

[68] Comm. eur. dr. h., décision Nachtmann c. Autriche, 9 septembre 1998, n° 36773/97.

[69] Comm. eur. dr. h., décision B. H., M. W., H. P. et G. K. c. Autriche, 12 octobre 1989, n° 12774/87.

[70] Comm. eur. dr. h., décision Walendy c. Allemagne, 11 janvier 1995, n° 21128/92.

[71] Comm. eur. dr. h., décision Honsik c. Autriche, 18 octobre 1995, n° 25062/94.

[72] Comm. eur. dr. h., décision Rebhandl c. Autriche, 16 janvier 1996, n° 24398/94.

[73] Comm. eur. dr. h., décision D. I. c. Allemagne, 26 juin 1996, n° 26551/95.

[74] Il arrive parfois que des requêtes soient déclarées irrecevables eu égard au contrôle de la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique, sans que l’article 17 soit pris en compte ou mentionné dans la décision. Les décisions T. c. Belgique (14 juillet 1983, n° 9777/82) et Association A. et H. c. Autriche (15 mars 1984, n° 9905/82) en sont des exemples.

[75] Comm. eur. dr. h., décision Marais c. France, 24 juin 1996, n° 31159/96.

[76] Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Lehideux et Isorni, précité.

[77] Gérard Cohen-Jonathan, « Le droit de l’homme à la non-discrimination raciale », op.cit., p. 668.

[78] Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Lehideux et Isorni, précité, §§ 47 et 53. Dans le même sens, voir également Cour eur. dr. h., arrêt Chauvy et autres c. France, 29 juin 2004, n° 64915/01, § 69.

[79] Cour eur. dr. h., décision Witzsch c. Allemagne, 20 avril 1999, n° 41448/98.

[80] Pour des commentaires sur cette décision, voir Michel Levinet, « La fermeté bienvenue de la Cour européenne des droits de l’homme face au négationnisme, obs., sur la décision du 24 juin 2003, Garaudy c. France », Rev. trim.dr. h., 2004, pp. 653-662 et Michel Puechavy, « La liberté d’expression et le négationnisme (décision Garaudy du 24 juin 2003) », in La France et la Cour européenne des Droits de l’Homme : la jurisprudence en 2003, sous dir. de Paul Tavernier, Bruylant, Bruxelles, 2005, pp. 181-193.

[81] Cour eur. dr. h., décision Garaudy c. France, 24 juin 2003, n° 65831/01.

[82] Ibidem.

[83] Cour eur. dr. h., décision Witzsch., précitée.

[84] Patrick Wachsmann, « Liberté d’expression et négationnisme », op.cit., p. 589.

[85] Patrick Wachsmann, « La jurisprudence récente de la Commission E.D.H. en matière de négationnisme », in La C.E.D.H. : Développements récents et nouveaux défis, Jean-François Flauss et Michel de Salvia (éd.), Bruxelles, Bruyland, 1997, pp. 101-112, spéc. 108.

[86] Michel Levinet, « La fermeté bienvenue de la Cour européenne des droits de l’homme face au négationnisme, obs., sur la décision du 24 juin 2003, Garaudy c. France », op.cit., p. 659.

[87] Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Lehideux et Isorni, précité, § 47.

[88] Cour eur. dr. h., arrêt Dink c. Turquie, 14 septembre 2010, n° 2668/07, n° 6102/08, n° 30079/08, n° 7072/09 et n° 7124/09, § 135.

[89] Françoise Tulkens, op.cit., p. 433.

[90] Sébastien Van Drooghenbroeck, op.cit., p. 551.

[91] Cour eur. dr. h., arrêt Sidiropoulos et autres c. Grèce, 10 juillet 1999, n° 26695/95, § 29.

[92] Comm. eur. dr. h., décision X. c. Autriche, 13 décembre 1963, n° 1747/62.

[93] Comm. eur. dr. h., décision Van Wenbeke c. Belgique, 12 avril 1991, n° 16692/90.

[94] L’opinion concordante de M. le juge Jambrek dans l’arrêt Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Lehideux et Isorni, précité.

[95] Comm. eur. dr. h., décision B. H., M. W., H. P. et G. K., précitée ; Comm. eur. dr. h., décision Nachtmann, précitée.

[96] Cour eur. dr. h., décision Schimanek, précitée.

[97] Comm. eur. dr. h., décision X. c. Italie, 21 mai 1976, n° 6741/74.

[98] Comm. eur. dr. h., décision Parti communiste d’Allemagne, précitée.

[99] Alphonse Spielmann, « L’abus de droit et les concepts équivalents : principe et applications actuelles », op.cit., p. 65.

[100] Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Rekvényi c. Hongrie, 20 mai 1999, n° 25390/94, §§ 47-48.

[101] Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Ždanoka, précité, § 133.

[102] Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Refah Partisi (Parti de la Prospérité) et autres c. Turquie, 13 février 2003, n° 41340/98, n° 41342/98, n° 41343/98 et n° 41344/98, § 102.

[103] Ibidem, § 103.

[104] La Cour confirme sa position sur l’incompatibilité de la charia avec la Convention dans la décision Kalifatstaat c. Allemagne (11 décembre 2006, n° 13828/04), où elle approuve la mesure d’interdiction de l’association requérante qui voulait instaurer un régime islamique mondial fondé sur la charia.

[105] Cour eur. dr. h., arrêt Jabari c. Turquie, 11 juillet 2000, n° 40035/98, §§ 38-42 ; arrêt D. et autres c. Turquie, 22 juin 2006, n° 24245/03, §§ 45-58.

[106] Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Refah Partisi (Parti de la Prospérité) et autres, précité, § 123.

[107] Patrick Macklem, « Militant Democracy, Legal Pluralism, and the Paradox of Self-Determination », International Journal of Constitutional Law, vol 4, n° 3, 2006, pp. 488-516, spéc. p. 508.

[108] Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Refah Partisi (Parti de la Prospérité) et autres, précité, §§ 98 et 99.

[109] Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Parti communiste unifié de Turquie et autres, précité ; Gde Ch., arrêt Parti socialiste et autres c. Turquie, 25 mai 1998, n° 21237/93 ; arrêt Yazar et autres c. Turquie, 9 avril 2002, n° 22723/93, n° 22724/93 et n° 22725/93 ; arrêt Parti socialiste de Turquie (STP) et autres c. Turquie, 12 novembre 2003, n° 26482/95 ; Gde Ch., arrêt Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres, précité ; arrêt Parti de la démocratie et de l’évolution et autres c. Turquie, 26 avril 2005, n° 39210/98 et n° 39974/98, et arrêt Emek partisi et Şenol c. Turquie, 31 mai 2005, n° 39434/98.

[110] Voir, par exemple, Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Parti communiste unifié de Turquie et autres, précité, § 60, et arrêt Parti de la démocratie et de l’évolution et autres, précité, § 137.

[111] Cour eur. dr. h., arrêt Otegi Mondragon c. Espagne, 15 mars 2011, n° 2034/07, § 56.

[112] Cour eur. dr. h., arrêt Linkov c. République tchèque, 7 décembre 2006, n° 10504/03, §§ 40-46.

[113] Cour eur. dr. h., arrêt Zhechev c. Bulgarie, 21 juin 2007, n° 57045/00, §§ 47-50.

[114] Cour eur. dr. h., arrêt Gündüz c. Turquie, 4 décembre 2003, n° 35071/97, § 51.

[115] Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Refah Partisi (Parti de la Prospérité) et autres, précité, §§ 104, 107, 108 et 110.

[116] Cour eur. dr. h., arrêt Gündüz, précité, § 51.

[117] Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Refah Partisi (Parti de la Prospérité) et autres, précité, § 102.

[118] Cour eur. dr. h., arrêt Sadak et autres c. Turquie (n° 2), 11 juin 2002, n° 25144/94, n° 26149/95 à n° 26154/95, n° 27100/95 et n° 27101/95.

[119] Voir, parmi beaucoup d’autres, Cour eur. dr. h., arrêt Dicle pour le Parti de la Démocratie (DEP) c. Turquie, 10 décembre 2002, n° 25141/94.

[120] Cour eur. dr. h., arrêt Partidul Comunistilor (Nepeceristi) et Ungureanu c. Roumanie, 3 février 2005, n° 46626/99.

[121] Cour eur. dr. h., arrêt Sidiropoulos et autres, précité.

[122] Voir, par exemple, Cour eur. dr. h., décision Gündüz c. Turquie, 13 novembre 2003, n° 58745/00.

[123] Cour eur. dr. h., arrêt Association de citoyens « Radko » et Paunkovski c. Ex-République yougoslave de Macédoine, 15 janvier 2009, n° 74651/01.

[124] Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Paksas c. Lituanie, 6 janvier 2011, n° 34932/04.

[125] Andras Sajo, « Militant democracy and transition towards democracy », op.cit., p. 210.

[126] Cour eur. dr. h., arrêt Batasuna et Herri Batasuna c. Espagne, 30 juin 2009, n° 25803/04 et n° 25817/04, §§ 20-45.

[127] Cour eur. dr. h., arrêt Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, n° 5029/71, § 48.

[128] Comm. eur. dr. h., décision Brind et autres c. Royaume-Uni, 9 mai 1994, n° 18714/91.

[129] Comm. eur. dr. h., décision Purcell et autres c. Irlande, 16 avril 1991, n° 15404/89, p. 296.

[130] Voir, par exemple, Cour EDH, décision Demirel c. Turquie, 3 mai 2007, n° 12166/03.

[131] Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Parti communiste unifié de Turquie et autres, précité, § 25.

[132] Cour eur. dr. h., arrêt Batasuna et Herri Batasuna, précité, §§ 85-93. Voir également Cour eur. dr. h., arrêt Partidul Comunistilor (Nepeceristi) et Ungureanu, précité, § 48.

[133] Cour eur. dr. h., arrêt Batasuna et Herri Batasuna, précité, § 89.

[134] Cour eur. dr. h., arrêt Hadep et Demir c. Turquie, 14 décembre 2010, n° 28003/03, § 80.

[135] Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Incal c. Turquie, 9 juin 1998, n° 22678/93, § 58.

[136] Cour eur. dr. h., arrêt Batasuna et Herri Batasuna, précité, § 89.

[137] Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Zana c. Turquie, 27 novembre 1997, n° 18954/91, § 56.

[138] Ibidem, §§ 59-61.

[139] Jean-François Flauss, « L’abus de droit dans le cadre de la Convention européenne des droits de l’homme », Rev. univ. dr. h., 1992, pp. 461-468, spéc. p. 464.

[140] Françoise Tulkens, op.cit., pp. 439-440.

[141] D’ailleurs, il n’est pas sans intérêt de mentionner que l’application de l’article 17 de la Convention dans la décision relative à la dissolution du Parti communiste d’Allemagne a conduit la Cour constitutionnelle turque à dissoudre certains partis politiques d’extrême gauche (Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Parti socialiste et autres, précité, § 15) pro-kurdes (Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Parti de la liberté et de la démocratie (ÖZDEP) c. Turquie, 8 décembre 1999, n° 23885/94, § 14) et islamistes (Cour eur. dr. h., décision Fazilet Partisi (parti de la vertu) et Kutan c. Turquie, 30 juin 2005, n° 1444/02).

[142] Michel Levinet, « Les présupposés idéologiques de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », Petites affiches, 22 décembre 2010, n° 254, pp. 9-19, spéc. p. 11.

[143] Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Parti communiste unifié de Turquie et autres, précité, § 32.

[144] Paul Harvey, op.cit., p. 407.

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LA CONCEPTION TURQUE DE LA LAICÏTE DEVANT LA COUR EUROPENNE DES DROITS DE L’HOMME http://avukat-kilinc.com/fr/la_conception_turque/ http://avukat-kilinc.com/fr/la_conception_turque/#comments Tue, 29 Oct 2013 20:35:22 +0000 http://avukat-kilinc.com/fr/?p=10007 Le principe de laïcité constitue la pierre angulaire de l’État sur laquelle est fondée la République de Turquie[3]. Il est à l’origine de la Révolution turque et au cœur de la construction de la nouvelle République[4].

Ümit KILINÇ[2]

Le principe de laïcité constitue la pierre angulaire de l’État sur laquelle est fondée la République de Turquie[3]. Il est à l’origine de la Révolution turque et au cœur de la construction de la nouvelle République[4]. En effet, la laïcité a joué un rôle déterminant dans la transition de l’Empire ottoman – lequel était présidé par la communauté des croyants, sous le règne de la charia, la loi musulmane, sans aucune distinction entre le politique et le religieux – vers la nouvelle République turque, fondée sur la « nation », où la religion est perçue comme un élément unificateur[5].

En Turquie, la laïcité constitue un contrepoids à l’intégrisme religieux et au fondamentalisme. Elle « s’est imposée comme un élément indispensable de la démocratie, dans un souci de sauvegarder la liberté de l’esprit »[6]. La lutte contre l’extrémisme et le fondamentalisme, et le souci de protéger la démocratie turque lui confère une spécificité particulière comparée à celle qu’elle revêt en France. La Cour constitutionnelle turque le confirme : pour des raisons liées à l’évolution historique et au caractère de la religion de l’Islam[7], à laquelle la majorité des Turcs adhèrent, le principe constitutionnel de la laïcité a une signification particulière pour la République de Turquie.

En effet, lorsque les fondateurs de la nouvelle République ont décidé d’ériger la laïcité au rang de principe constitutionnel irrévocable du pays[8], ils se sont inspirés du modèle français de la laïcité[9]. Dans la doctrine comme dans la jurisprudence, il est généralement admis que la laïcité turque comprend quatre aspects. Le premier concerne l’absence de religion officielle de l’État[10]. Le deuxième concerne le devoir de neutralité de l’État par rapport aux religions, qui lui interdit d’en privilégier une au détriment des autres. La Cour constitutionnelle reconnaît que ce deuxième aspect est la conséquence directe du premier puisqu’il résulte de la suppression dans la Constitution de la disposition proclamant que la religion de l’État est l’Islam[11].

Quant au troisième aspect du principe de laïcité, il concerne la protection constitutionnelle des religions et l’interdiction de toute discrimination entre les individus en raison de leurs croyances et de leur religion. Le fait que l’État privilégie une des religions est contraire au principe d’égalité devant la loi prévu par l’article 10 de la Constitution.

Enfin, le dernier aspect a trait à la subordination des autorités religieuses à l’État. En principe, l’État laïc ne doit pas exercer une quelconque fonction religieuse. Or, à l’instar de la Constitution de 1961, la Constitution de 1982 prévoit, à son article 136, la création de la Présidence des affaires religieuses, dépendant du Premier ministre, dont la fonction est d’administrer les mosquées, d’engager et de surveiller les membres du clergé, muftis, imams et prédicateurs. Ladite Présidence a pour but de respecter et de faire respecter le principe de laïcité et d’œuvrer pour la réalisation de la solidarité et l’union nationales[12]. En ce qui concerne le statut des membres de la Présidence des affaires religieuses, la Cour constitutionnelle, dans son arrêt du 21 octobre 1971, a jugé que le fait qu’ils soient assimilés à des fonctionnaires n’était pas contraire au principe de laïcité, tel qu’établi en Turquie[13].

À la différence de la conception française de la laïcité, la laïcité turque ne prévoit pas de véritable séparation entre l’État et la religion ; elle vise plutôt à instaurer un contrôle de l’État sur l’Islam[14]. En d’autres termes, la conception turque de la laïcité repose essentiellement sur l’encadrement de la religion[15]. Elle revêt des dimensions politiques, juridiques, sociales et culturelles dont certaines sont étrangères à la conception française de la laïcité. Les autorités turques essaient de substituer à la religion musulmane une religion officielle, sorte d’Islam sunnite modernisée, financée et contrôlée par l’État[16]. Le but poursuivi est d’éviter toute instrumentalisation politico-religieuse et de créer ainsi un Islam compatible avec la laïcité républicaine[17].

La plus grande différence entre les conceptions turque et française réside dans le fait que contrairement à la première, la seconde ne constitue pas un dogme ou une idéologie de l’État mais repose, au contraire, sur une conception historique fondée sur la tolérance. Par ailleurs, elle ne dispose pas d’une place supérieure par rapport aux libertés publiques[18]. En revanche, en Turquie, la laïcité est érigée au rang supérieur de principe constitutionnel directeur et trouve à s’appliquer à tout le domaine public sans exception. Les juridictions nationales, lorsqu’elles sont amenées à examiner des droits et libertés qui entrent en conflit avec le principe de laïcité, font systématiquement prévaloir le second sur les premiers[19]. C’est la raison pour laquelle, la laïcité en Turquie revêt un caractère militant.

Cet aspect « négatif »[20] ou « militant » de la laïcité turque peut poser problème au niveau européen. La Convention européenne des droits de l’homme (ci-après dénommée « la Convention ») est au cœur du débat sur les restrictions apportées, au niveau national, aux droits et libertés au nom du principe de laïcité. Il est dès lors intéressant de s’interroger quelle est la position de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après « la Cour ») quant à la limitation des droits et libertés garantis par la Convention sur le fondement de la laïcité turque. Essaie-t-elle de trouver un juste équilibre entre les deux notions en conflit ou bien fait-elle primer l’une sur l’autre ? La réponse à ces questions varie : dans certains cas, le juge européen confirme le caractère militant de la laïcité turque au nom de laquelle les droits et libertés peuvent être limités (I) et dans d’autres, il exige une laïcité qui tolère l’exercice des droits et libertés la remettant en cause (II).
I. Une « laïcité militante » confirmée par la Cour européenne des droits de l’homme

D’après la Cour constitutionnelle, dans un régime laïc, la source du droit est l’homme et non la religion, et la souveraineté appartient à la nation et non à Dieu. La démocratie ne peut exister que dans un État laïc. L’ordre démocratique s’oppose au système théocratique qui a pour but d’imposer les préceptes religieux. La réglementation d’une matière selon les exigences de la religion est la caractéristique d’un État théocratique, ce qui est contraire au caractère pluraliste, libéral et tolérant de la démocratie. La loi musulmane, la charia, contredit la démocratie et la modernité dont la laïcité est une condition sine qua non[21].

Pour le juge constitutionnel, l’État turc est chargé de surveiller les activités religieuses pour assurer la dépolitisation et la neutralisation de la religion, en traitant tous les citoyens de la même manière, sans discrimination fondée sur leur religion et leur confession. L’indépendance de l’État est assurée par le principe de laïcité qui contribue non seulement à la réalisation de l’État de droit mais également au renforcement de la souveraineté nationale. Ce principe est donc en rupture totale avec le système religieux de l’Empire ottoman, il représente la pierre angulaire de la démocratie turque et une condition primordiale pour garantir l’égalité et les droits et libertés fondamentaux[22].

Saisie de la question du conflit entre la laïcité et la liberté de religion, la Cour constitutionnelle turque souligne la primauté de la première sur la seconde. Elle affirme que le principe de laïcité « est une forme de vie civilisée qui constitue la base pour la compréhension de la liberté et de la démocratie (…) »[23]. La Haute Cour va plus loin en affirmant que tous les droits et libertés doivent être appréciés à la lumière du principe de laïcité, qui en assure la garantie. Elle conclut que la Constitution ne permet pas de remettre en cause ce principe et ne reconnaît aucune possibilité d’écarter ce principe au profit des libertés[24].

Devant les organes de la Convention, le gouvernement turc, suivant le raisonnement de la Cour constitutionnelle, invoque souvent la laïcité comme principe de nature à fonder des mesures restrictives frappant l’exercice des droits et libertés garantis par la Convention. Selon lui, « la protection de l’État laïc en Turquie est une condition sine qua non de l’application de la Convention »[25]. En effet, le principe de laïcité remplit une fonction particulièrement importante en Turquie où l’Islam politique entend organiser l’État et la communauté en instaurant un régime fondé sur des règles religieuses attentatoires à la démocratie et aux libertés fondamentales[26]. C’est la raison pour laquelle, toute activité visant à mettre fin à l’ordre démocratique et laïc doit absolument être incriminée[27].

La Cour de Strasbourg est amenée à se prononcer sur la question de savoir comment aborder la question du dialecte entre l’Islam politique et la laïcité. C’est dans les affaires turques relatives à la mise à la retraite anticipée de militaires par le Conseil supérieur militaire et au port du foulard (B) que les organes de la Convention ont commencé à se prononcer sur la conventionalité des restrictions apportées en vue de protéger le principe de laïcité. Ces affaires sont suivies par celles relatives aux groupes et/ou aux mouvements religieux qui défendent un système ayant pour but de convertir l’État démocratique laïc en un État théocratique (A).
A. Une « laïcité militante » contre l’instauration d’un régime théocratique

Depuis la création de la République turque, il existe une grande divergence entre les Kémalistes et les islamistes, divergence qui s’étend à la fois à la conception de la démocratie et au rôle de la religion dans la société. Dès le début des années cinquante et jusqu’à la fin de vingtième siècle, on a assisté à la montée de l’islamisation du pays, ce qu’a confirmé le succès du Refah Partisi durant les années quatre-vingt-dix[28]. Pour éviter que la montée de l’intégrisme et la menace islamiste ne devienne incontrôlables, la laïcité joue le rôle d’un garde-fou qui empêche les fondamentalistes de détruire la démocratie, ses institutions et les libertés fondamentales[29].

Dans l’affaire Yanaşık c. Turquie relative à la révocation d’un élève officier de l’Académie militaire, la Commission européenne juge, pour la première fois, légitime de limiter la liberté de religion du requérant, eu égard au principe de laïcité en Turquie[30]. Elle précise que l’État agissant dans le but d’assurer son rôle d’organisateur neutre et impartial de l’exercice des convictions religieuses, il peut exiger de ses fonctionnaires actuels ou futurs dans la mesure où ils sont investis d’une parcelle de la souveraineté et d’un devoir de renoncer à s’engager dans le mouvement du fondamentalisme islamique.

Par ailleurs, dans son arrêt Kalaç c. Turquie du 1er juillet 1997, la Cour a jugé que la mise à la retraite d’office du requérant, magistrat militaire et directeur des affaires juridiques auprès du commandement dans l’armée de l’air, n’enfreignait pas la Convention[31]. Elle s’est référée aux arguments du gouvernement turc selon lesquels la mesure litigieuse visait à éloigner de la magistrature militaire le requérant qui, en participant aux activités d’une secte religieuse fondamentaliste, a manifesté son manque de loyauté envers le fondement de la nation turque – la laïcité – dont les forces armées sont garantes[32].

Par la suite, dans deux décisions relatives au port du foulard, la Commission s’est également référée au principe de laïcité pour justifier la restriction de la liberté de religion des requérantes qui se plaignaient de ce que les autorités nationales avaient refusé de leur délivrer leurs diplômes universitaires, au motif qu’elles avaient fourni des photos sur lesquelles elles portaient le foulard. Elle estime que « les règles applicables aux photos d’identité à utiliser pour apposer sur les diplômes, […] font […] partie des règles universitaires établies dans le but de préserver la nature « républicaine », donc « laïque », de l’Université, (…) ». Considérant que « le statut d’étudiant dans une université laïque implique, par nature, la soumission à certaines règles de conduite établies afin d’assurer le respect des droits et libertés d’autrui », la Commission conclut qu’il n’y avait, en l’espèce, aucune ingérence dans le droit des requérantes garanti par l’article 9 de la Convention[33].

Pareillement, la Cour, dans l’affaire Dahlab c. Suisse, a établi un lien entre le principe de laïcité et la société démocratique. La juridiction européenne y affirme en effet qu’il est « difficile de concilier le port du foulard islamique avec le message de tolérance, de respect d’autrui et surtout d’égalité et de non-discrimination que, dans une démocratie, tout enseignant doit transmettre à ses élèves »[34].

Plus récemment, dans l’arrêt de la Grande Chambre Refah Partisi du 13 février 2003, la Cour affirme que la laïcité constitue une valeur de la démocratie européenne en tant que paramètre d’émancipation de la tutelle religieuse sur l’État et la nation, mais également en tant que facteur de neutralisation des régimes théocratiques ou du fondamentalisme ou de l’intégrisme religieux[35]. Elle estime par ailleurs que le pluralisme et la démocratie sont fondés sur un compromis qui exige des concessions diverses de la part des individus ou groupes d’individus, qui doivent parfois admettre la limitation de certaines des libertés dont ils jouissent, afin de garantir une plus grande stabilité du pays dans son ensemble. Dans cette affaire, en se fondant sur la légitimité du recours au principe de laïcité pour résoudre le problème de l’atteinte à la liberté d’association et à la liberté de religion, le juge européen considère que certaines règles propres à l’Islam, telles que le système multi juridique et la charia, sont des notions qui contredisent la démocratie.

Eu égard à la théorie du système multi juridique, le juge européen indique que l’instauration d’un tel système – prévu par la charia – conduit à une discrimination entre citoyens fondée sur les croyances religieuses du fait qu’il « les catégoriserait selon leur appartenance religieuse et leur reconnaîtrait des droits et libertés non pas en tant qu’individus, mais en fonction de leur appartenance à un mouvement religieux »[36]. Pour le double motif, ledit système est contraire à la laïcité, lue au travers du prisme démocratique de la Convention.

En premier lieu, un tel modèle vise à supprimer « le rôle de l’État en tant que garant des droits et libertés individuels et organisateur impartial de l’exercice des diverses convictions et religions dans une société démocratique, puisqu’il obligerait les individus à obéir non pas à des règles établies par l’État dans l’accomplissement de ses fonctions précitées, mais à des règles statiques de droit imposées par la religion concernée ». En second lieu, ce système multi juridique ne saurait être considéré comme compatible avec le système de la Convention parce qu’il « enfrein[t] indéniablement le principe de non-discrimination des individus dans leur jouissance des libertés publiques, qui constitue l’un des principes fondamentaux de la démocratie ». Le juge européen explique en effet qu’« une différence de traitement entre les justiciables dans tous les domaines du droit public et privé selon leur religion ou leur conviction n’a manifestement aucune justification au regard de la Convention, et notamment au regard de son article 14, qui prohibe les discriminations »[37].

Quant à la question de la compatibilité de la charia avec la Convention, la Cour européenne souligne, à l’instar de la Cour constitutionnelle turque[38], que la laïcité est l’outil du passage à la démocratie pour la Turquie, antithèse de la charia. Ce système reflète les dogmes et les règles divines édictées par la religion et méconnaît les principes fondamentaux de la démocratie et des droits de l’homme. Elle précise qu’« [i]l est difficile à la fois de se déclarer respectueux de la démocratie et des droits de l’homme et de soutenir un régime fondé sur la charia, qui se démarque nettement des valeurs de la Convention, notamment eu égard à ses règles de droit pénal et de procédure pénale, à la place qu’il réserve aux femmes dans l’ordre juridique et à son intervention dans tous les domaines de la vie privée et publique conformément aux normes religieuses »[39].

La juridiction de Strasbourg s’appuie donc, pour déclarer l’incompatibilité de la charia au principe démocratique, sur le caractère stable et invariable de ses règles, qui sont à l’opposé de l’esprit et de la lettre de la Convention, notamment quant à la place réservée aux femmes dans l’ordre juridique concerné et sur sa vocation à régir et à poser des principes dans la totalité des domaines de la société. La Cour est clairement frappée par l’absence de pluralisme et par les règles de droit pénal et de procédure pénale prévoyant des sanctions corporelles dans le système de la charia[40]. De ce point de vue, il convient de rappeler l’affaire Jabari c. Turquie[41] où la Cour confirme, par ricochet, l’incompatibilité absolue de certaines règles de la loi musulmane avec l’ordre conventionnel[42].

Il est possible d’ajouter à la catégorie des notions incompatibles avec les valeurs protégées par la Convention le djihad, la guerre sainte, qui légitime le recours à la force afin de défendre et d’instaurer la loi islamique. La Cour européenne retient la finalité du djihad, qui a pour objectif « la domination totale de la religion musulmane dans la société »[43]. Elle souligne que la proposition de changement de législation et de structure constitutionnelle d’un État n’est admissible que dans le respect de la démocratie. Cette affirmation écarte clairement la force et la violence – donc le djihad – du champ de protection de la Convention[44]. La raison de l’incompatibilité de l’Islam avec la Convention semble être plus politique que religieuse, puisque le fait d’imposer les règles de la religion musulmane comme fondement du système politique et juridique soulève de sérieux problèmes.

Il convient à présent d’examiner si le foulard islamique s’ajoute aux notions incompatibles avec les valeurs protégées par la Convention.
B. Une « laïcité militante » contre le port du foulard islamique

La Cour juge légitime, dans une société démocratique et laïque, de limiter la liberté de manifester sa conviction religieuse à la sphère des relations interindividuelles[45], dans la mesure où l’exercice de cette liberté « nuit à l’objectif visé de protection des droits et libertés d’autrui, de l’ordre et de la sécurité publique »[46]. Pour le juge européen, le port du foulard, « signe extérieur fort »[47] constituant un symbole de l’Islam politique, est difficilement conciliable avec les règles démocratiques, telles que la tolérance, l’égalité et le principe de non-discrimination[48].

À la suite des décisions Karaduman, Bulut et Dahlab susmentionnées, la Cour européenne a été saisie de la question de la conventionnalité de l’exclusion d’une étudiante, Mlle Leyla Şahin, qui avait insisté pour porter le foulard pour passer les examens et suivre les cours à l’Université d’Istanbul. Dans son arrêt du 29 juin 2004, la quatrième section de la Cour a décidé, à l’unanimité, qu’il n’y avait pas eu violation de la Convention du fait de l’interdiction incriminée. À la demande de la partie requérante, le collège de la Grande Chambre avait renvoyé l’affaire devant la Grande Chambre qui, dans son arrêt Leyla Şahin c. Turquie en date du 10 novembre 2005[49], a confirmé l’incompatibilité du « foulard islamique » avec la Convention.

Considérant que l’interdiction du port du foulard dans les établissements supérieurs n’est pas contraire au droit de la requérante de manifester sa religion, la Grande Chambre de la Cour s’appuie une fois encore sur la spécificité du contexte turc afin d’assouplir son degré de contrôle sur la question du port du foulard islamique[50]. Elle développe néanmoins son argumentation sur le caractère religieux, voire extrémiste, du foulard. En effet, l’interdiction du port du foulard a, pour la juridiction de Strasbourg, une double finalité démocratique, à savoir la protection des femmes et la lutte contre les mouvements fondamentalistes[51].

S’agissant de la première, la Cour souligne que le port du « foulard islamique » est un symbole qui semble être imposé aux femmes par un précepte religieux, ce qui est difficilement conciliable avec le principe d’égalité des sexes[52]. Par ailleurs, après avoir relevé que l’égalité entre les sexes est l’un des principes essentiels de la Convention et l’un des objectifs des États membres du Conseil de l’Europe, la Cour affirme que la question du port du foulard islamique, présenté ou perçu comme une obligation religieuse contraignante, a, dans le contexte turc, un impact considérable sur ceux qui ne l’arborent pas. En Turquie, la majorité de la population manifeste un attachement profond à la laïcité et aux droits des femmes tout en adhérant à la religion musulmane. Il s’avère donc légitime de limiter la liberté de religion en raison du port du foulard, symbole religieux qui avait acquis au cours des dernières années une portée politique dans le pays.

Cet argument de la Cour n’a, néanmoins, pas convaincu Mme Tulkens, seul juge en dissidence avec la majorité. Elle observe que la requérante, une jeune femme adulte et universitaire, a soutenu qu’elle portait librement le foulard et que rien ne contredisait cette affirmation. À cet égard, il est difficile de comprendre comment le principe d’égalité entre les sexes peut entrer en ligne de compte pour interdire à une femme universitaire d’adopter un comportement auquel, sans que la preuve contraire ait été apportée, elle consent librement. Mme la juge se demande en quoi l’interdiction du port du foulard assurerait la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes. Le lien entre le port du foulard et l’égalité des sexes est distendu, voire inexistant. Si le port du foulard était contraire, en tout état de cause, à l’égalité entre les hommes et les femmes, l’État se trouverait alors obligé, au titre de ses obligations positives, de l’interdire dans tous les lieux, qu’ils soient publics ou privés.

Concernant la seconde finalité démocratique, la Grande Chambre fait sien l’argument de la Chambre selon lequel « il existe en Turquie des mouvements politiques extrémistes qui s’efforcent d’imposer à la société toute entière leurs symboles religieux et leur conception de la société, fondée sur des règles religieuses […] ». Elle conclut que les autorités nationales peuvent légitimement préserver le caractère laïc de ses établissements d’enseignement et ainsi considérer comme contraire aux valeurs démocratiques le port de tenues religieuses, foulard islamique inclus[53]. La Cour a de nouveau recours à la conception turque de la laïcité pour ne pas sanctionner la limitation par les autorités turques des droits et libertés garantis par la Convention.

À ce sujet, on pense, comme Mme la juge Tulkens, qu’il est nécessaire de faire une distinction entre les personnes qui portent le foulard et les extrémistes qui souhaitent l’imposer puisqu’il est difficile d’affirmer que le port du foulard est, en tant que tel, associé à l’Islam radical ou au fondamentalisme. Certains auteurs réfutent cette position. Ils avancent que l’intérêt général devait primer sur l’intérêt individuel de la requérante, Mlle Leyla Şahin, vue l’importance de la défense de la démocratie en Turquie où le port du foulard est devenu une revendication politique extrémiste[54]. Bien au contraire, c’est précisément la démocratie qui s’oppose à ce qu’on interdise le port du foulard au sein des Universités. Il est difficile de concevoir comment le foulard, qu’une partie des femmes turques portent, peut être considéré comme une revendication des fondamentalistes et/ou comme le symbole de l’extrémisme. Toutes ces femmes sont-elles extrémistes ou associées à l’Islam radical ou encore à l’intégrisme religieux ? Contrairement à ce que la Cour affirme, le foulard n’est pas une obligation contraignante liée à l’identité religieuse qu’impose l’Islam ; une personne ne le portant pas peut très bien adhérer à la religion musulmane.

À l’occasion des affaires Refah Partisi et Leyla Şahin, la Grande Chambre de la Cour a pu développer de manière détaillée sa doctrine en matière de laïcité et de société démocratique en soulignant l’importance de ce principe pour la vie politique de l’État turc. Elle adopte en la matière une position « novatrice », « promeut et valorise la laïcité en la transformant en valeur (…) de la société démocratique »[55] et de l’ordre public européen. Le juge européen estime que « la laïcité [est] assurément l’un des principes fondateurs de l’État qui cadrent avec la prééminence du droit et le respect des droits de l’homme et de la démocratie. Une attitude ne respectant pas ce principe ne sera pas nécessairement acceptée […] et ne bénéficiera pas de la protection […] de la Convention »[56]. En référence à la prééminence du droit et au respect des droits de l’homme et de la démocratie, la Cour de Strasbourg offre à ce principe constitutionnel une consécration jurisprudentielle qui semble aller au-delà du contexte constitutionnel turc[57].

Les considérations qui se sont développées à partir du principe de laïcité représentent une nouvelle doctrine des droits de l’homme et dépassent effectivement le cas de la Turquie. De par son raisonnement qui érige la laïcité au rang de principe essentiel de la société démocratique, la Cour semble vouloir en faire un principe à valeur conventionnelle. Elle semble imposer aux citoyens européens comme condition préalable le respect du principe de laïcité afin de pouvoir bénéficier des droits et libertés garantis par la Convention. Il semble que le juge européen ne tienne pas compte du fait que les États européens soient divisés sur les modalités d’adhésion au principe de laïcité. D’ailleurs, certains États ont encore une religion d’État ou une religion qui bénéficie d’un surcroît de protection. Dans les affaires turques, sans se prononcer sur sa définition, la Cour a avalisé une conception particulièrement stricte de la laïcité[58], survalorisée et surprotégée en droit interne turc. Il paraît donc difficile de considérer le principe de laïcité, tel qu’appliqué en Turquie, comme une des valeurs de l’« ordre public européen ».

Par ailleurs, on est tenté de se demander si la Cour européenne établit une hiérarchie, à l’instar de la Cour constitutionnelle turque, entre le principe de laïcité et les droits et libertés lorsqu’elle affirme qu’une attitude ne respectant pas ce principe ne bénéficiera pas de la protection de la Convention européenne. Quelle est la base juridique de cette interprétation ? Loin d’y voir un risque pour les droits et libertés garantis par la Convention, la juridiction de Strasbourg estime que les comportements qui sont en contradiction avec ce principe ne sont pas conformes à la Convention. Elle est gardienne et garante des droits et libertés mais non de la laïcité, principe qui est étranger à la Convention et qui est à la base des restrictions des droits et libertés en droit interne turc. En insistant la légitimité de la protection de la laïcité face aux droits et libertés garantis par la Convention, le juge de Strasbourg donne en fin de compte des arguments aux autorités nationales pour les restreindre sur le plan interne.

Toutefois, dans certaines affaires, la laïcité est conçue, devant le juge européen, de manière « positive » et ne permet pas aux autorités nationales de limiter les droits et libertés garantis par la Convention. On constate que la Cour exige une « laïcité tolérante » et demande aux États de respecter la pluralité de la société européenne.
II. Une « laïcité tolérante » exigée par la Cour européenne des droits de l’homme

En contribuant au renforcement des institutions laïques en Turquie, qui seraient sous la menace de l’application de la charia et du djihad, le juge européen se montre sévère en ce qui concerne les libertés de religion et d’association. Il reconnaît à l’État turc une marge d’appréciation large quant aux rapports entre l’État et la religion[59] et lui donne de solides arguments pour se confronter à la menace du fondamentalisme religieux[60]. En refusant clairement et fermement l’instauration d’un État théocratique, elle exige, néanmoins, des États la préservation d’« un véritable pluralisme religieux, indispensable pour la survie d’une société démocratique »[61] et « le respect de l’impératif de neutralité des autorités publiques (…) »[62]. La juridiction de Strasbourg a également reconnu que la défense des normes de l’Islam et de l’instauration d’un État théocratique, dans certaines conditions, était admissible dans l’« ordre public européen » et pouvait être protégée dans le cadre de l’article 10 de la Convention. Par ailleurs, la laïcité turque doit tolérer d’être remise en cause et critiquée vivement, voire avec une certaine exagération (A). À partir des arrêts examinés ci-dessus, il est possible d’avoir des avis sur la conception que se fait la Cour de la laïcité (B).
A. Une laïcité qui tolère sa remise en cause

La Turquie est le théâtre d’une guerre déclarée entre les valeurs démocratiques et les tentations théocratiques. En tant qu’arbitre, la Cour est conduite à adopter une position entre le dogme musulman et le dogme de la laïcité. Consciente du fait que « le régime théocratique islamique a déjà été imposé dans l’histoire du droit ottoman »[63], la juridiction européenne évite que l’Islam radical utilise les moyens démocratiques pour faire avancer sa cause en Turquie. La résistance de l’État laïc turc contre les interventions de l’Islam radical dans le fonctionnement des institutions étatiques a été approuvée par le juge européen qui estime légitime, voire nécessaire, de lutter, dans le respect des dispositions de la Convention, contre l’islamisation des structures politiques du pays. Il s’agit de protéger la démocratie et les droits et libertés contre l’intégrisme religieux. Toutefois, dans certaines conditions, les idées intégristes ou fondamentalistes peuvent bénéficier de la protection de la Convention.

En effet, dans l’affaire Gündüz c. Turquie[64], qui peut être considérée comme un symbole de la diversité des sociétés européennes tant du point de vue sociologique que religieux, la Cour de Strasbourg a eu l’occasion de se prononcer sur la question de la compatibilité d’un discours anti-laïc avec l’article 10 de la Convention. La cour de sûreté de l’État d’Istanbul a condamné pénalement le requérant pour incitation du peuple à la haine et à l’hostilité sur la base d’une distinction fondée sur l’appartenance à une religion. Elle lui a reproché d’avoir qualifié les institutions démocratiques et laïques d’« impies », d’avait critiqué de façon virulente la laïcité et la démocratie tout en exprimant son intention de les supprimer en faveur d’un système fondé sur la charia.

Le juge européen observe en premier lieu que le requérant a été invité à une émission télévisée diffusée en direct par une chaîne privée pour présenter sa secte islamiste, Tarikat Aczmendi, et ses idées non conformistes, notamment au sujet de l’incompatibilité de sa conception de l’Islam avec les valeurs démocratiques. L’objet de cette émission à caractère polémique était de discuter des caractéristiques de cette secte et de présenter cette communauté, dont les adeptes attiraient l’attention du grand public en raison de leurs soutanes noires, de leurs bâtons et de leur manière de psalmodier. Le format de l’émission, quant à lui, consistait à susciter un échange de vues, voire une polémique, de manière à ce que les opinions exprimées s’équilibrent entre elles et que le débat attire l’attention des téléspectateurs. La Cour relève que le requérant a déclaré qu’un régime fondé sur la charia serait instauré en détruisant la démocratie et que ce régime s’établirait non par la contrainte, par la force ou par les armes, mais en convainquant les gens.

La juridiction de Strasbourg rappelle que, dans une société démocratique et pluraliste, fondée sur la tolérance et le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains, il est nécessaire de sanctionner, voire de prévenir toutes les formes d’expression qui propagent, incitent à, promeuvent ou justifient la haine fondée sur l’intolérance. Toutefois, puisque ce thème en question était largement débattu dans les médias turcs et concernait un problème d’intérêt général, les restrictions à la liberté d’expression appelaient une interprétation étroite. Le juge européen estime que, bien qu’ayant dénoté une attitude intransigeante et un mécontentement profond face au principe de laïcité et à la démocratie, les propos du requérant quant aux institutions contemporaines en Turquie, examinés dans leur contexte, ne peuvent pas passer pour un appel à la violence ni pour un discours de haine fondé sur l’intolérance religieuse.

Cependant, il importe de rappeler que la Cour européenne avait affirmé dans l’affaire Refah Partisi qu’« [u]ne attitude ne respectant pas [le] principe [de laïcité] ne sera pas nécessairement acceptée comme faisant partie de la liberté de manifester sa religion et ne bénéficiera pas de la protection qu’assure l’article 9 de la Convention »[65]. Cette affirmation est-elle transposable à la liberté d’expression ? Le juge européen n’a-t-il pas pris en considération « l’importance du respect du principe de la laïcité en Turquie pour la survie du régime démocratique »[66] ? La remise en cause du principe de laïcité provoque-t-elle par la même occasion celle de l’« ordre public européen » ?

Il est évident que l’enjeu principal dans l’affaire Gündüz c. Turquie était d’opérer la conciliation entre le respect de la laïcité et le droit à la liberté d’expression. La Cour tranche la question en faveur de la seconde. Dans cette affaire, une laïcité conçue par la Cour dans un sens « positif »[67] tolère même les idées qui la contestent. Le discours anti-laïc prononcé par le requérant, qui qualifie les institutions laïques et démocratiques d’« impies », doit s’inscrire dans le cadre d’un débat public. Il bénéficie pleinement de la protection de la liberté d’expression, les propos n’atteignant pas un niveau extrême de virulence qui permette de les considérer comme des discours de haine fondés sur l’intolérance religieuse. Dès lors, la condamnation du requérant pour le simple fait d’avoir défendu la charia, sans en appeler à la violence pour l’établir, ne saurait être considéré comme nécessaire dans une société démocratique.

Il apparaît que, soucieuse de protéger la liberté d’expression, la Cour européenne fait preuve d’une grande prudence lorsque la Turquie s’attaque, au nom de la protection du principe de laïcité, à la liberté d’expression. Elle met en place un contrôle de conventionnalité plus rigoureux au profit de ladite liberté[68]. Contrairement aux hypothèses concernant les articles 9 et 11 de la Convention, le juge européen ne partage pas l’avis du gouvernement turc quant à la limitation de la liberté d’expression sur le fondement du principe de laïcité.

Une comparaison des arrêts Refah et Gündüz s’impose quant à la question de la compatibilité de la charia avec la Convention. Les discours prononcés par les dirigeants du Refah et les propos tenus par le requérant M. Gündüz sont similaires. En effet, par la proposition d’un système multi juridique qui remplacerait l’ordre juridique unique, le président du Refah souhaitait l’instauration d’un régime théocratique. Bien que les discours du vice-président et des membres du Refah, titulaires de sièges de députés à l’Assemblée nationale, soient ambigus en ce qui concerne le recours à la violence pour établir la charia dans le pays[69], la Cour a approuvé la décision de la Cour constitutionnelle sur la dissolution du Refah. Or, dans l’affaire Gündüz, elle estime que la défense de la charia sans incitation à la violence est admissible dans une société démocratique et doit pleinement bénéficier de la protection de l’article 10 de la Convention.

La juridiction européenne a-t-elle justifié cette différence de manière convaincante ? A-t-elle oublié avoir dit, dans l’affaire Refah, qu’« il était difficile à la fois de se déclarer respectueux de la démocratie et des droits de l’homme et de soutenir un régime fondé sur la charia » ? Vu qu’elle n’a pas appliqué dans l’affaire Gündüz le principe selon lequel la charia est un projet politique incompatible avec la démocratie et la Convention, la juridiction européenne opère-t-elle une distinction entre la liberté d’association et la liberté d’expression, en conférant à cette dernière une protection plus rigoureuse ?

Les juges européens opèrent une distinction entre les affaires Refah Partisi et Gündüz. Ils expliquent que la différence réside dans le fait que, dans la première affaire, il s’agissait de « la dissolution d’un parti politique dont l’action semblait tendre à l’instauration de la charia dans un État partie à la Convention et qu’il disposait, à la date de sa dissolution, d’un potentiel réel de s’emparer du pouvoir politique »[70] tandis que, dans la deuxième, le requérant M. Gündüz était un simple particulier qui n’avait pas le pouvoir ni les moyens d’instaurer la charia. Il était donc difficile de comparer les deux situations. L’argument avancé par le juge européen semble logique et convaincant. Il a pour objectif « l’actualisation de son interprétation »[71] relative à la charia.

Néanmoins se pose la question de savoir si l’État ne devrait pas agir contre les idées fondamentalistes avant que le danger pour la société démocratique ne se concrétise et devienne réel. En d’autres termes, faut-il attendre que l’intégrisme religieux s’approprie le pouvoir et soit en passe de compromettre le régime démocratique ? Dans l’arrêt Gündüz, la doctrine reproche à la Cour d’approuver le dogme musulman défendu par le requérant[72]. Ce dernier a affirmé lors de l’émission télévisée qu’il se référait à l’Islam et non à la démocratie. Il a de surcroît exprimé son intention de détruire la démocratie et le système laïc et d’instaurer, à sa place, la charia.

Cependant, les critiques qui consistent à reprocher à la Cour d’avoir accordé une protection trop large de la liberté d’expression ne sont pas justifiées. Cette décision n’est pas de nature à encourager les fondamentalistes à diffuser, sous couvert de la protection de la liberté d’expression, leurs idées visant à détruire la démocratie et ses institutions. Bien au contraire, accordant la protection de la Convention aux idées jugées qui ne sont pas compatibles avec la laïcité et la démocratie, le juge européen invite les personnes religieuses, voire les extrémistes, à défendre leurs opinions dans le respect des règles démocratiques et à ne pas recourir à la haine et à la violence. En outre, le fait d’imposer des restrictions aux idées, dépourvues d’incitation à la haine et à la violence, avant qu’elles ne se concrétisent et deviennent dangereuses, est une conception étroite et restrictive de la liberté d’expression, conception qui peut donner lieu à des limitations considérables des idées et opinions avant même qu’elles ne soient rendues publiques. De ce point de vue, la distinction que la Cour fait entre un parti politique, qui a le pouvoir de mettre en œuvre, par la force, les projets incompatibles avec la Convention, et un simple individu, qui participe à un débat public fondée sur l’échange de vues et la polémique, est remarquable.

Il est donc acceptable pour un simple individu de se déclarer à la fois respectueux de la démocratie et des droits de l’homme et de soutenir, sans recours à la violence, dans le cadre de la liberté d’expression, un régime fondé sur la charia, même si cette dernière se démarque nettement des valeurs de la Convention. Comme chaque individu, les ennemis de la démocratie peuvent et doivent bénéficier de la liberté d’expression, à condition qu’ils refusent la violence et qu’ils contribuent par leurs idées au débat public. La jurisprudence établie par l’arrêt Gündüz constitue un pas en avant dans la consolidation et la création d’un standard européen plus élevé de la liberté d’expression.

Cependant, la position de la Cour dans l’arrêt Gündüz est regrettable sur un point. Cet arrêt semble remettre en cause un certain équilibre parmi les dispositions de la Convention car la différenciation ne repose pas en l’espèce sur le caractère politique des revendications mais sur les articles 10 et 11 de la Convention[73]. En effet, il convient de remarquer que dans l’affaire Refah Partisi, la Cour adopte deux critères pour les partis politiques qui souhaitent promouvoir un changement de législation ou des structures légales ou constitutionnelles dans un État partie à la Convention ; premièrement, « les moyens utilisés à cet effet doivent être légaux et démocratiques » et, ensuite, « le changement proposé doit lui-même être compatible avec les principes démocratiques fondamentaux »[74]. Si un parti politique remplit ces conditions, bien que s’inspirant des valeurs d’une religion, il ne peut pas être considéré comme une formation qui viole les principes fondamentaux de la démocratie sur lesquels est fondée la Convention.

En appliquant ces critères à l’article 10 de la Convention, on peut constater que, bien que le requérant, M. Gündüz, ait utilisé un moyen tout à fait démocratique, le changement qu’il a proposé, l’instauration de la charia, n’est pas lui-même compatible avec les règles fondamentales de la démocratie. Il est, certes, difficile de conclure que, saisie de la question de la protection de la liberté d’expression, la Cour a méconnu les critères qu’elle a elle-même adoptés dans une affaire précédente relative à l’article 11, mais il aurait été opportun qu’elle précise que la différenciation ne se fait pas sur les articles 10 et 11 de la Convention et que ces principes sont applicables uniquement aux affaires relatives à la dissolution des partis politiques[75].

Enfin, en Turquie, il arrive que les individus soient condamnés pénalement parce qu’ils défendent le port du foulard islamique dans les Universités. Sur ce point, la Cour ne retient pas les arguments du gouvernement turc selon lesquels le fait de prendre position en faveur du foulard islamique et des tenues vestimentaires encourage certains mouvements fondamentalistes religieux très actifs dans les universités et que la défense du port du foulard islamique, qui est contraire au principe de laïcité, l’un des principes fondateurs de la République turque, est de nature à troubler l’ordre public et à porter atteinte aux croyances d’autrui[76].

Reste à déterminer la question de la conception de la Cour quant au principe de laïcité.
B. Quelle laïcité pour la Cour européenne des droits de l’homme ?

Par la référence in abstracto au principe de laïcité, la juridiction de Strasbourg appelle au respect de la démocratie et de ses formes contemporaines : procédure de l’État de droit, respect des formes et du droit, neutralité et indépendance tant des États que des responsables politiques quant à la religion, hommage à l’histoire laïque de l’État turc en tant que mode de différenciation des sphères étatique et religieuse[77]. La laïcité est un moyen de freiner les fondamentalistes lorsqu’ils tentent d’instaurer un système incompatible avec la Convention et de supprimer l’État qui est le garant de la paix religieuse et de la tolérance dans la société démocratique.

À travers certaines affaires turques, le principe de laïcité, tel qu’appliqué en Turquie en vue d’empêcher les fondamentalistes de troubler l’ordre démocratique et laïc, est devenu une valeur à protéger au niveau européen. Pour la juridiction européenne, la laïcité, en tant que partie intégrante de l’« ordre public européen » des droits de l’homme, est une valeur relevant de la Convention. Elle précise que la notion d’« ordre public européen » inclut les valeurs et les principes de la démocratie, sur laquelle repose la Convention et s’oppose ainsi à des jugements de valeurs fondés sur des normes religieuses discriminantes. L’« ordre public européen » représente le cadre juridique dans lequel s’exercent les droits et libertés garantis par la Convention. Les règles religieuses s’arrêtent là où commence l’« ordre public européen », fondé sur les principes de la Convention. Le « politique » prend le dessus sur le « religieux » lorsque ce dernier, outil du premier, constitue un danger qui menace les valeurs communes européennes[78].

La Cour européenne déclare que la laïcité est devenue un bien commun européen sur le plan culturel et social. Si ce principe n’est concrétisé sur le plan institutionnel uniquement qu’en France et en Turquie, tous les États membres du Conseil de l’Europe ont renoncé à trouver la légitimité et le fondement du régime en Dieu et en transcendance des règles religieuses. En Europe, les droits fondamentaux proviennent d’une dynamique commune, politique et culturelle qui est qualifiée de laïque et qui est fondée sur la séparation entre le sacré et le profane, le spirituel et le temporel, le religieux et le politique[79].

Sur la forme, la Cour européenne n’impose pas aux États une séparation stricte des pouvoirs étatique et religieux et ne prohibe pas, à titre d’exemple, la subordination des autorités religieuses à l’État. Bien qu’il existe diverses formes de laïcité dans les pays européens, la Cour ne semble pas en privilégier une en particulier. Il appartient aux États de définir et établir la forme de laïcité la mieux adaptée à leur société.

Lorsqu’il n’existe pas un danger pour l’ordre démocratique et laïc du pays, la juridiction strasbourgeoise exige une laïcité « ouverte et tolérante » pour l’exercice des droits et libertés reconnus par la Convention. Elle demande à ce titre aux parties contractantes de respecter la pluralité des idées et opinions, ce qui renforce de toute évidence l’idée selon laquelle les pouvoirs étatiques ne sauraient faire preuve de parti pris[80]. L’État a un devoir de neutralité et d’impartialité qui « est incompatible avec un quelconque pouvoir d’appréciation de la part de l’État quant à la légitimité des croyances religieuses »[81] ou sur « les modalités d’expressions de celle-ci »[82]. Seul l’État neutre et impartial peut assurer l’ordre public, la paix religieuse et la tolérance dans une société démocratique[83]. Il exerce un rôle d’arbitre attentif en évitant de mettre en œuvre des comportements qui pourraient paraître partiaux. Ce rôle des autorités « ne consiste pas à éliminer la cause des tensions en supprimant le pluralisme mais à veiller à ce que les groupes concurrents se tolèrent les uns les autres »[84].

Des « affaires musulmanes »[85] examinées ci-dessus, il ressort que certaines règles de l’Islam et les droits de l’homme sont des notions qui semblent être difficilement conciliables. La Convention s’articule autour d’un « patrimoine commun d’idéaux et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit », valeurs qui sont étrangères au droit musulman qui est fondé sur le phénomène religieux[86]. La juridiction de Strasbourg a refusé l’islamisation de la démocratie turque en proposant la démocratisation de l’Islam turc, ce qui signifie que, dans le respect des règles démocratiques, les défenseurs des règles de l’Islam peuvent bénéficier de la protection de la Convention. Pour ce faire, il est impératif, lors d’un contrôle de conventionnalité des ingérences de l’État, d’opérer une distinction entre l’Islam pacifique et le fondamentalisme. Toute activité qui ne provoque pas l’instauration d’un régime fondé sur l’intolérance religieuse, la violence et la haine devrait bénéficier pleinement de la protection de la Convention.
Conclusion

Dans la Turquie actuelle, on assiste à un processus de stabilisation de la conception turque de la laïcité : les anciens islamistes, actuellement au pouvoir, proposent une nouvelle charte de laïcité et soulignent la nécessité d’une nouvelle interprétation de ce principe constitutionnel afin de répondre aux exigences de la société turque actuelle. Les Alévis, défenseurs du principe de laïcité depuis la création de la République turque, réclament une nouvelle laïcité où l’État serait davantage neutre. Pour établir cette neutralité, ils demandent la suppression des cours religieux dans les écoles publiques et de la Direction des affaires religieuses qui privilège la branche sunnite de l’Islam[87]. Plus précisément, en Turquie, une laïcité ouverte et tolérante à l’égard de toute identité religieuse est devenue nécessaire pour l’établissement d’une véritable démocratie pluraliste sans laquelle il n’y a pas de protection effective des droits et libertés.

Pour conclure, ce n’est pas « encore et toujours [le principe de laïcité mais] ce sont, [écrivait Mme Tulkens, la démocratie et] les droits de l’homme qui sont les meilleurs moyens de prévenir et de combattre le fanatisme et l’extrémisme »[88] tant au niveau national qu’européen.

[1] Les opinions exprimées dans le présent article, dont certains aspects ont déjà été abordés dans le contexte de la liberté d’expression (Ü. KILINÇ, La liberté d’expression en Turquie à l’épreuve de la Convention européenne des droits de l’homme, Thèse pour obtenir le grade de docteur en droit, Université de Strasbourg, 2009, p. 175-272), sont propres à l’auteur et n’engagent pas l’institution à laquelle il appartient.

[2] Docteur en droit. Juriste à la Cour européenne des droits de l’homme.

[3] L’article 2 de la Constitution turque de 1982 dispose que « la République de Turquie est un État […] laïc ».

[4] Cour const., 7 mars 1989, n° 1989/1 E et 1989/12 K, AYMKD (Anayasa Mahkemesi Kararlar Dergisi/Revue de la Justice Constitutionnelle), 1991, n° 25, p. 142-150.

[5] E. Öktem, « La Cour constitutionnelle turque définit le nationalisme, principe de la République », RDP, 115, 1999, p. 1159-1200, spéc. p. 1191.

[6] V. Fabre-Alibert, « La loi française du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics : vers un pacte social laïc », RTDH, 2004, p. 575-609, spéc., p. 575.

[7] Contrairement au christianisme, l’Islam pose les principes qui concernent non seulement la sphère privée de l’individu mais également les activités étatiques et l’ordre juridique.

[8] La laïcité a été introduite en 1937 dans la Constitution turque de 1924 en tant que principe républicain.

[9] J-P. Burdy & J. Marcou, « Laïcité/Laiklik : Introduction », Cemoti, n° 19, janvier-juin 1995, p. 5-33, p. 17.

[10] La loi n° 1222 du 10 avril 1928 a abrogé la disposition de la Constitution turque de 1924 qui affirmait que l’Islam était la religion officielle de l’État turc. Ainsi, contrairement à l’Empire ottoman, la nouvelle République turque n’a plus de religion.

[11] Cour const., 4 novembre 1986, n° 1986/11 E et 1986/26 K, AYMKD, 1987, n° 22, p. 313-314. Cependant, contrairement à la conception française de la laïcité, la neutralité n’empêche pas l’État de rendre l’enseignement religieux obligatoire dans les établissements scolaires du primaire et du secondaire. La Haute Cour justifie ce choix afin d’éviter l’abus de la religion et en vue de la neutraliser (Cour const., 16 septembre 1998, n° 1997/62 E et 1998/52 K, AYMKD, 2001, n° 36/1, p. 915-928). La doctrine turque est cependant divisée sur la compatibilité de l’enseignement religieux obligatoire avec le principe de laïcité. Certains considèrent que l’enseignement religieux obligatoire est contraire à la laïcité car l’État ne serait plus neutre en tolérant l’enseignement d’une des religions dans les écoles publiques (E. Özbudun, Türk Anayasa Hukuku (Droit Constitutionnel Turc), 4ème éd., Ankara, 1995, p. 55-56 ; B. Tanör, « Problèmes relatifs à la liberté de religion, à la liberté d’éducation et à l’identité culturelle en Turquie », TYHR (Turkish Yearbook of Human Rights), vol. 14, 1992, p. 59-70, spéc. p. 66 ; B. Vural-Dinçkol, 1982 Anayasası çerçevesinde ve Anayasa Mahkemesi karalarında laiklik (La laïcité dans la Constitution de 1982 et dans les arrêts de la Cour constitutionnelle), İstanbul, Kazancı Hukuk Yayınları, n° 103, 1992, p. 64). D’autres prétendent que cette disposition est conforme à la conception turque de la laïcité qui permet à l’État d’intervenir dans les affaires religieuses afin d’encadrer la religion. (Voir, par exemple, M. Soysal et Necmi Yüzbaşıcoğlu, cité par M. Sağlam, L’expérience de la justice constitutionnelle en Turquie, Thèse pour le doctorat en droit, Université Panthéon–Assas (Paris II), 2004, p. 335). Par ailleurs, la question de l’enseignement obligatoire dans les établissements scolaires a fait l’objet d’une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Zengin c. Turquie (9 octobre 2007, n° 1448/04) qui a conclu à la violation de l’article 2 du Protocole no 1. Il s’agissait de l’obligation imposée à la fille du requérant de suivre des cours religieux obligatoires qui n’étaient pas conformes aux convictions religieuses de ses parents.

[12] En revanche, l’État français n’exerce aucune fonction religieuse. L’article 2 de la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État, qui dispose que « la République ne reconnaît, ne salarie, ne subventionne aucun culte (…) », est plus explicite à ce sujet.

[13] Cour const., 21 octobre 1971, n° 1970/53 E et 1971/76 K, AYMKD, 1973, n° 10, p. 53-70. La Cour constitutionnelle turque justifie la gestion de la religion par l’État par la spécificité de la laïcité en Turquie par rapport aux pays occidentaux : « le fait de surveiller la religion par cette direction vise à empêcher le fanatisme religieux (…) et à encadrer la religion » (Ibidem, p. 67). Cette position n’échappe pas à la critique de la doctrine qui estime, à juste titre, que le juge constitutionnel a omis de rechercher si c’est précisément le principe de laïcité qui était opposé à ce qu’on reconnaisse le statut de fonctionnaires aux membres de la Présidence (C. Grewe & C. Rumph, « La Cour constitutionnelle turque et sa décision relative au « foulard islamique » », RUDH, 1991, p. 113-124, spéc., p. 120).

[14] En France, il existe une séparation stricte et un désinvestissement de l’État par rapport au religieux (O. Abel, « La condition laïque: réflexions sur le problème de la laïcité en Turquie et en France », Cemoti, n° 19, janvier-juin 1995, p. 39-58, spéc., p. 44), tandis qu’en Turquie, ce principe, comme le précise la Cour constitutionnelle turque, doit être compris comme interdisant seulement aux autorités religieuses de se mêler des affaires étatiques. En revanche, l’État peut intervenir dans les affaires religieuses (Cour const., 21 octobre 1971, n° 1970/53 E, arrêt précité, p. 65). En France, suite à l’adoption de la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État, il n’existe plus de religion officielle ni de religion privilégiée. Un point commun entre les deux pays est que dans les deux, l’Islam public est confronté à la laïcité républicaine. Par contre, comme l’écrit N. Göle, en France, la présence de l’Islam résulte de l’immigration alors qu’en Turquie, il est la religion de la quasi-totalité de la population. Il s’agit donc d’« un Islam minoritaire dans un cas, majoritaire dans l’autre » (N. Göle, « La laïcité républicaine et l’Islam public », Revue Française d’études constitutionnelles et politiques, Pouvoirs, la Turquie, n° 115, p. 73-86, spéc., p. 76-76).

[15] Une autre particularité de la conception turque de la laïcité réside dans le fait que la religion figure sur la carte d’identité de chaque citoyen, au même titre que les nom, prénom et sexe, les nom, prénom des parents, le lieu et la date de naissance et l’état civil.

[16] Ş. Akdağ, La Turquie devant la Cour européenne des Droits de l’Homme, Thèse pour obtenir le grade de Docteur en droit, Université de droit d’Économie et des Sciences d’Aix-Marseille, 2002, p. 35.

[17] N. Göle, op.cit, note 14, p. 81.

[18] Les autorités judiciaires françaises cherchent en général un juste équilibre entre les libertés et le principe de laïcité, comme en témoigne l’arrêt du Conseil d’État français du 27 novembre 1989 (CE Ass. Plén., 27 novembre 1989, avis n° 246893 in Y. Gaudemet et al, Les grands avis du Conseil d’État, Dalloz, 2ème éd., Paris, 2002, p. 225-229).

[19] C. Grewe & C. Rumph, op.cit, note 13, p. 122.

[20] L. Burgorgue-Larsen & E. Dubout, « Le port du voile à l’Université. Libres propos sur l’arrêt de la Grande Chambre Leyla Sahin c. Turquie du 10 novembre 2005 », RTDH, 2006, p. 183-215, spéc. p. 211.

[21] N. Göle, op.cit, note 14, p. 76.

[22] A. Menevşe, La justice constitutionnelle sous la troisième République turque, Thèse pour le doctorat en droit, Université d’Auvergne (Clermont I), 1995, p. 47.

[23] C. Ruıph & C. Grewe, op.cit, note 13, p. 145.

[24] Cour const., 7 mars 1989, n° 1989/1 E, arrêt précité, p. 152.

[25] Ibidem, §§ 59-61.

[26] CourEDH, arrêt Erbakan c. Turquie, 6 juillet 2006, § 48, n° 59405/00.

[27] En ce sens, le gouvernement turc se fonde sur la notion de « démocratie militante », notion qui, utilisée par la Cour constitutionnelle turque, signifie que les pouvoir publics ont le droit de défendre la démocratie contre les actions qui visent à la détruire (Cour const., 12 décembre 2000, n° 2000/86 E et 2000/50 K, AYMKD, 2001, n° 36/2, p. 902).

[28] Cette islamisation a longtemps été tolérée par les gouvernements, l’armée et les républicains. En effet, à la suite du coup d’État du 12 septembre 1980, l’armée turque a tenté de concilier les principes kémalistes avec la religion musulmane dans le but d’adopter une nouvelle idéologie nationaliste-religieuse, la « synthèse turco-islamique ». La religion, devenue une référence idéologique, a été promue et a commencé à disposer d’un terrain dans l’espace public et politique du pays (D. Akagül, « Le cinquième élargissement de l’Union européenne et la question de la candidature turque, la fin d’un cycle, mais quelles perspectives », Revue de Marché commun et de l’Union européenne, n° 419, juin 1998, p. 359-369, spéc., p. 361).

[29] Ş. Akdağ, op.cit. note 16, p. 107.

[30] CommissionEDH, déc. Yanaşık c. Turquie, 6 janvier 1993, n° 14524/89, D.R. n° 74, p. 20-21.

[31] CourEDH, arrêt Kalaç c. Turquie, 1er juillet 1997, n° 20704/92, Recueil des arrêts et décisions, 1997-IV.

[32] Plusieurs requêtes ont été déclarées irrecevables sur le fondement de cette jurisprudence par la juridiction de Strasbourg, qui réitère systématiquement que la décision de renvoi de l’armée « ne se fonde pas sur les convictions et opinions religieuses du requérant ou sur la manière dont il remplissait ses devoirs religieux, mais sur son comportement et ses agissements portant atteinte à la discipline militaire et au principe de laïcité » (voir, parmi beaucoup d’autres, CourEDH, déc. Can c. Turquie, 12 juin-9 octobre 2001, n° 36196/97 et déc. Genel c. Turquie 12 juin-9 octobre 2001, n° 36200/97).

[33] CommissionEDH, déc. Karaduman c. Turquie, 3 mai 1993, n° 16278/90, D.R. n° 74, p. 101-102 ; déc. Bulut c. Turquie, 3 mai 1993, n° 18783/91. Pour une critique de la décision Karaduman, voir J-F. Flauss, « La Commission européenne des droits de l’homme au secours de la laïcité de l’enseignement public », Les Petites Affiches, 26 novembre 1993, n° 142, p. 11-13.

[34] CourEDH, déc. Dahlab c. Suisse, 15 février 2001, n° 42393/98, Recueil des arrêts et décisions, 2001-V, p. 439.

[35] A. Garay, « La laïcité, principe érigé en valeur de la Convention européenne des droits de l’homme », Recueil Dalloz, 2006, n° 2, p. 103-110, spéc., p. 104-105.

[36] CourEDH [GC], arrêt Refah Partisi (Parti de la Prospérité) et autres c. Turquie, 13 février 2003, n°s 41340/98, 41342/98, 41343/98 et 41344/98, § 119, Recueil des arrêts et décisions, 2003-II, p. 255.

[37] Ibidem.

[38] Cour const. (DPP), 16 janvier 1998, n° 1997/1 E et 1998/1, AYMKD, 1999, n° 34/2, p. 852.

[39] CourEDH [GC], arrêt Refah Partisi (Parti de la Prospérité) et autres c. Turquie, arrêt précité, § 123, p. 257.

[40] Y. Lecuyer, « L’Islam, la Turquie et la Cour européenne des droits de l’homme », RTDH, 2006, p. 735-759, spéc., p. 741.

[41] CourEDH, arrêt Jabari c. Turquie, 11 juillet 2000, n° 40035/98, §§ 41 et 42, Recueil des arrêts et décisions, 2000-VIII, p. 160.

[42] Y. Lecuyer, op.cit, note 40, p. 744.

[43] CourEDH [GC], arrêt Refah Partisi (Parti de la Prospérité) et autres c. Turquie, arrêt précité, § 130, p. 259.

[44] Y. Lecuyer, op.cit, note 40, p. 742.

[45] M. Levinet, « Société démocratique et laïcité dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », in Laïcité, liberté de religion et Convention européenne des droits de l’homme, sous la direction de Gérard Gonzalez, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 81-114, spéc., p. 89.

[46] CourEDH [GC], arrêt Refah Partisi (Parti de la Prospérité) et autres c. Turquie, arrêt précité, § 92, p. 246.

[47] CourEDH [GC], arrêt Leyla Şahin c. Turquie, 10 novembre 2005, n° 44774/98, § 111.

[48] CourEDH, déc. Dahlab c. Suisse, 15 février 2001, n° 42393/98, Recueil des arrêts et décisions, 2001-V, p. 448.

[49] Pour les commentaires doctrinaux sur l’affaire Leyla Şahin c. Turquie, voir G. Gonzalez, « Obs. sous l’arrêt Leyla Şahin c. Turquie du 29 juin 2004 », RDP, 2005, p. 789-790 ; E. Decaux, « Obs. sous l’arrêt Leyla Şahin c. Turquie du 29 juin 2004, JDI, 2005, p. 529-531 et L. Burgorgue-Larsen & E. Dubout, op.cit, note 20, p. 183-215.

[50] La jurisprudence établie par l’arrêt Leyla Şahin a ultérieurement été confirmée par les décisions Kurtulmuş c. Turquie (24 janvier 2006, n° 65500/01), Köse et 93 autres c. Turquie (24 janvier 2006, n° 26625/02) et Çağlayan c. Turquie (3 avril 2007, no 1638/04). En outre, dans deux arrêts concernant la France, la Cour a approuvé l’exclusion des requérantes par les autorités françaises de leur établissement scolaire, en raison de leur refus de retirer leur foulard durant les cours d’éducation physique et sportive, en se fondant sur les impératifs de la laïcité dans l’espace public scolaire (Cour EDH, arrêt Doğru c. France, 4 décembre 2008, n° 27058/05, arrêt Kervancı c. France, 4 décembre 2008, n° 31645/04. Sur ces deux arrêts, voir M. Sayar-Yesilgul, « Lever le voile sur la question du foulard dans les écoles françaises, quand la laïcité prime sur la liberté de manifester ses convictions religieuses », l’Europe des Libertés, janvier 2009, n° 29, p. 30-32).

[51] L. Burgorgue-Larsen & E. Dubout, op.cit, note 20, p. 194.

[52] CourEDH [GC], arrêt Leyla Şahin c. Turquie, arrêt précité, § 111.

[53] Ibidem, §§ 115-116.

[54] L. Burgorgue-Larsen & E. Dubout, op.cit, note 20, p. 200.

[55] J-F. Flauss, « Laïcité et Convention européenne des droits de l’homme », RDP, n° 2, 2004, p. 317-324, spéc., p. 318-319.

[56] CourEDH [GC], arrêt Refah Partisi (Parti de la Prospérité) et autres c. Turquie, arrêt précité, § 93, p. 247.

[57] A. Garay, op.cit., note 35, p. 104.

[58] L. Burgorgue-Larsen & E. Dubout, op.cit, note 20, p. 209.

[59] CourEDH [GC], arrêt Leyla Şahin c. Turquie, arrêt précité, § 109.

[60] J-P. Marguenaud & J. Raynard, « Sources européennes : Conseil de l’Europe », RTD civ., oct.-déc., 2001, p. 979-984, p. 984.

[61] CourEDH [GC], arrêt Leyla Şahin c. Turquie, arrêt précité, § 110.

[62] M. Levinet, op.cit., note 45, p. 88.

[63] CourEDH [GC], arrêt Refah Partisi (Parti de la Prospérité) et autres c. Turquie, arrêt précité, § 125, p. 257.

[64] CourEDH, arrêt Gündüz c. Turquie, 4 décembre 2003, n° 35071/97, Recueil des arrêts et décisions, 2003-XI, p. 233-255.

[65] CourEDH [GC], arrêt Refah Partisi (Parti de la Prospérité) et autres c. Turquie, arrêt précité, § 93, p. 247.

[66] Ibidem, p. 257.

[67] L. Burgorgue-Larsen & E. Dubout, op.cit, note 20, p. 211.

[68] Y. Lecuyer, op.cit, note 40, p. 750.

[69] Ibidem, § 131, p. 259-260.

[70] À l’issue des élections législatives de 1995, le Refah est devenu le premier parti politique turc avec 22 % des voix et un total de 158 sièges à la Grande Assemblée nationale de Turquie, ce qui lui a permis d’accéder au pouvoir en formant un gouvernement de coalition avec un parti politique de tendance centre-droite. Selon un sondage de l’opinion publique effectué en janvier 1997, si une élection générale avait été tenue à ce moment, le Refah aurait obtenu 38 % des voix. Toujours selon les pronostics du même sondage, le Refah aurait pu obtenir 67 % des voix dans les élections générales qui devaient se tenir probablement quatre ans plus tard. Dans l’hypothèse où le Refah aurait proposé un programme contraire aux principes démocratiques, son accès seul au pouvoir politique aurait permis à ce parti d’établir le modèle de société envisagé dans ce programme (CourEDH [GC], arrêt Refah Partisi (Parti de la Prospérité) et autres c. Turquie, arrêt précité, § 108, p. 251-252).

[71] M. Levinet, op.cit., note 45, p. 108.

[72] Y. Lecuyer, op.cit, note 40, p. 751.

[73] Ididem.

[74] CourEDH [GC], arrêt Refah Partisi (Parti de la Prospérité) et autres c. Turquie, arrêt précité, § 98, p. 248.

[75] D’ailleurs, la Cour a très récemment mentionné ces deux critères dans les affaires Herri Batasuna et Batasuna c. Espagne du 30 juin 2009 (n° 25803/04 et n° 258017/04, § 79) relatives à la dissolution des partis politiques basques.

[76] CourEDH, arrêt Güzel c. Turquie (n° 2), arrêt précité.

[77] A. Garay, op.cit., note 35, p. 105.

[78] Ibidem, p. 105-108.

[79] Ibidem, p. 107.

[80] À titre d’exemple, dans l’arrêt Buscarini et autres c. Saint-Marin (18 février 1999, n° 24645/94, § 39, Recueil des arrêts et décisions, 1999-I, p. 639), la Cour condamne l’État défendeur pour avoir imposé aux requérants de prêter serment sur les Évangiles. Ceci revient à obliger deux élus du peuple à faire allégeance à une religion donnée, ce qui n’est pas compatible avec la Convention.

[81] CourEDH, arrêt Eglise Métropolitaine de Bessarabie et autres c. Moldove, 13 décembre 2001, n° 45701/99, § 123, Recueil des arrêts et décisions, 2001-XII, p. 72-73.

[82] CourEDH, arrêt Hassan et Tchaouch c. Bulgarie, 26 octobre 2000, n° 30985/96 § 78, Recueil des arrêts et décisions, 2000-XI, p. 182.

[83] CourEDH [GC], arrêt Leyla Şahin c. Turquie, arrêt précité, § 107.

[84] CourEDH, arrêt Serif c. Grèce, 14 décembre 1999, no 38178/97, § 53, Recueil des arrêts et décisions, 1999-IX, p. 88.

[85] Expression utilisée par M. A. Garay, (op.cit., note 35, p. 109).

[86] Tout en tenant compte de l’interprétation de la Cour dans les arrêts I. A. et Gündüz, M. Ben Achour prétend qu’il n’existe pas, en soi, d’opposition fondamentale entre l’« ordre public européen » et l’Islam, en tant que tel (Y. Ben Achour, « L’Islam et la Cour européenne des droits de l’homme », RGDIP, 2007-2, p. 387-405, spéc., p. 404). Bien qu’il s’agisse, dans les affaires Refah Partisi (Parti de la Prospérité) et Gündüz, de supprimer la démocratie et les institutions constitutionnelles en les remplaçant par la charia et les institutions religieuses, les conclusions de la Cour sont différentes. Par ailleurs, il n’est pas possible de déduire des arrêts de la Cour, notamment des affaires Refah Partisi (Parti de la Prospérité) et autres et Leyla Şahin rendus par la Grande Chambre, que la juridiction européenne viserait la religion musulmane à l’égard de laquelle elle utilise au demeurant certaines expressions d’hostilité intrinsèque. Sa position dépend des circonstances de l’espèce et l’examen se fait au cas par cas. En revanche, c’est « un certain Islam fondamentaliste, frileux, littéraliste, incapable de concevoir une séparation entre les convictions du for interne et l’action politique ou les politiques juridiques, un islam endophasique, discriminatoire à l’égard des femmes et des minorités, partisan de la violence, voire même du terrorisme » qui est incompatible avec les valeurs démocratiques et l’« ordre public européen » (Y. Ben Achour, La Cour européenne des droits de l’homme et la liberté de religion, Paris, A. Pedone, 2005, p. 44).

[87] A. Nalbant, « Principe de laïcité dans les Constitutions turques et la régulation du fait religieux », in Laïcité en débat : principes et représentations en France et en Turquie, sous la direction de S. Akgönül, Presses Universitaires de Strasbourg, 2008, Strasbourg, p. 69-77, spéc., p. 77.

[88] Opinion dissidente de Mme le Juge Tulkens dans l’arrêt Leyla Şahin c. Turquie, arrêt précité, § 20.

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Maître Ümit KILINÇ CV http://avukat-kilinc.com/fr/maitre-umit-kilinc-cv/ http://avukat-kilinc.com/fr/maitre-umit-kilinc-cv/#comments Sun, 06 Oct 2013 18:07:53 +0000 http://avukat-kilinc.com/fr/?p=9917 CURRICULUM VITAE

Maître Ümit KILINÇ

Date de naissance 12 mai 1977

Nationalité Française et Turque

État civil marié, un enfant

Adresse (en France) 14 quai Kleber, 67000 Strasbourg/France

Adresse (en Turquie) Manas Bulvarı, Gündoğan İş Merkezi No : 24, Kat : 3 D : 17 Bayraklı/İZMİR

TÜRKİYE Mail [email protected]

Études universitaires

septembre 2004 – avril 2009 Doctorat droit international (France)

septembre 2003 – septembre 2004 Master II droit international (France)

septembre 1995 – septembre 1999 Diplôme de maîtrise en droit (Master I) (Turquie)

Expériences professionnelles

septembre 2012-août 2013 Université de la Réunion (Fransa)

Enseignant

Depuis mai 2012 Barreau d’Izmir (Turquie)

Avocat

juillet 2008 – avril 2012 Cour européenne des droits de l’homme

Juriste

avril 2005 – mai 2006 Cour européenne des droits de l’homme

Juriste

novembre 2000 – janvier 2003 Différents Barreaux (Turquie)

Avocat

septembre 1999–septembre 2000 Barreau de Diyarbakır (Turquie)

Élève-avocat

Langues

Turc Langue maternelle

Français Excellent

Anglais Avancé

Publications

Ouvrage

« La liberté d’expression en Turquie à l’épreuve de la Convention européenne des droits de l’homme », L’Harmattan, 2010, Paris, 627 pages (Publication de la thèse de doctorat).

Articles

-En français

1. « La conception de la démocratie militante dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », Revue trimestrielle des Droits de l’Homme, no 90, avril 2012, pp. 297-328.

2. « La conception turque de la laïcité devant la Cour européenne des droits de l’homme », L’Europe des Libertés, no 30, mai-août 2009, pp. 2-13.

-En turc

3. « La compatibilité de la surveillance secrète par des moyens techniques avec la Convention européenne des droits de l’homme » (Türk Adalet Akademisi Dergisi (Revue de l’Académie turque de la justice), avril 2012, no 9, pp. 1-32 (article rédigé en turc).

4. « L’arrêt Lautsi et autres c. Italie : quelle religion, quelle laïcité ? Sur le principe de la neutralité de l’État et la théorie de la marge d’appréciation de la Cour européenne des droits de l’homme », Türk Adalet Akademisi Dergisi (Revue de l’Académie turque de la justice), octobre 2011, no 7, pp. 93-122 (article rédigé en turc).

5. « La protection du nom et du prénom dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », Türkiye Barolar Birliği Dergisi (Revue du Conseil national des Barreaux), no 89, juillet-août 2010, pp. 242-276 (article rédigé en turc).

6. « Le droit d’accès au tribunal et la question de la compatibilité du droit turc avec la Convention européenne des droits de l’homme », Izmir Barosu Dergisi (Revue du Barreau d’Izmir), janvier 2003, pp. 126-156, (article rédigé en turc).

-Notes sur la jurisprudence de la Cour EDH (en français)

7. « Faut-il sacrifier le pluralisme pour la stabilité gouvernementale ? », Note sur l’arrêt Sadak et Yumak c. Turquie du 8 juillet 2008, L’Europe des Libertés, no 27, septembre 2008, pp. 17-19.

8. « Une confirmation du caractère « vivant » de la Convention », Note sur l’arrêt Demir et Baykara c. Turquie du 12 novembre 2008, L’Europe des Libertés, no 28, décembre 2008, pp. 24-26.

9. « L’arrêt Herri Batasuna et Batasuna : une régression ou un revirement ? », Note sur l’arrêt Herri Batasuna et Batasuna c. Espagne du 30 juin 2009, L’Europe des Libertés, no 30, août 2009, pp. 25-27.

10. « Les affaires de disparition échappent-elles à la compétence ratione temporis et à la règle du délai de six mois ? », Note sur l’arrêt Varnava et autres c. Turquie du 18 septembre 2009, L’Europe des Libertés, no 31, décembre 2009, pp. 17-19.

11. « La Cour se montre déterminée à s’attaquer aux problèmes structurels sur le terrain de la liberté d’expression », Note sur les arrêts Manole et autres c. Moldova du 17 septembre 2009 et Ürper et autres c. Turquie du 20 octobre 2009, L’Europe des Libertés, no 31, décembre 2009, pp. 23-25.

12. « Vers une nouvelle procédure d’arrêt pilote ? », Note sur l’arrêt Greens et M.T. c. Royaume-Uni du 23 novembre 2010, L’Europe des Libertés, no 34, janvier 2011, pp. 23-25.

13. « La procédure d’impeachment visant à destituer le chef de l’État est-elle compatible avec l’article 3 du Protocole no 1 ? », Note sur l’arrêt Paksas c. Lituanie du 6 janvier 2011, L’Europe des Libertés, no 35, mai 2011, pp. 29-31.

14. « La stérilisation d’une femme d’origine rom constitue-t-elle une discrimination ? », Note sur l’arrêt V.C. c. Slovaquie du 8 novembre 2011, L’Europe des Libertés, no 37, janvier 2012, pp. ( ).

Chroniques sur la jurisprudence de la

Cour européenne des droits de l’homme

L’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 3 du Protocole no 1, dans la Revue d’Actualité juridique L’Europe des Libertés, de janvier 2008 à aujourd’hui.

Séminaires donnés

au sein de la Cour EDH en tant que juriste et au Conseil de l’Europe en tant qu’expert

-20 avril 2010 : « La structure et le fonctionnement de la Cour européenne des droits de l’homme »

(étudiants et membres de l’association « Réussir aujourd’hui »)

-9 février 2011 : « Le rôle et le fonctionnement de la Cour européenne des droits de l’homme » (étudiants de l’Université Bahçeşehir d’Istanbul)

-10 juin 2011 : « L’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et les principes généraux » (juges et procureurs turcs)

-15 décembre 2011 : « L’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme et les principes généraux » (juges, procureurs et membres du Conseil supérieur de la magistrature en Turquie)

-27 février 2012 : « L’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme » (juges et procureurs militaires turcs)

-19-20 mars 2012 : « L’aspect pénal de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme » (juges et rapporteurs de la Cour constitutionnelle turque)

-18-19 mai 2012 : « La liberté d’association et de réunion (article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme) » (juges et rapporteurs de la Cour constitutionnelle turque)

-11-12 juin 2012 : « Le droit d’accès au tribunal et la justice administrative militaire », et « Le principe du contradictoire et la justice administrative militaire » (juges et procureurs militaires de la Haute Cour administrative militaire)

-20-21 décembre 2012 : « La protection de la liberté d’expression et de la liberté de la presse dans la jurisprudence de la Convention européenne des droits de l’homme » (juges et procureurs turcs)

Connaissances informatiques

World, Excel et PowerPoint, différentes bases de données, etc.

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Maître Fethiye Abi Özgüleç CV http://avukat-kilinc.com/fr/maitre-fethiye-abi-ozgulec-cv/ http://avukat-kilinc.com/fr/maitre-fethiye-abi-ozgulec-cv/#comments Sun, 06 Oct 2013 13:21:56 +0000 http://avukat-kilinc.com/fr/?p=9553 Maître Fethiye Abi Özgüleç a fait ses études universitaires à la Faculté de droit de l’Université d’Istanbul et a obtenu sa maîtrise de droit en 1984.

Après avoir terminé son stage d’avocat, Maître Abi Özgüleç a commencé à exercer au Barreau d’Istanbul en 2006.

Depuis 2001, elle exerce la profession d’avocat au Barreau d’Izmir.

Avocate expérimentée de notre cabinet, Maître Abi Özgüleç offre des conseils et des aides juridiques sur le droit turc et accompagne les clients dans les contentieux relatifs au droit immobilier, aux baux et au recouvrement de dette.

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CV2 http://avukat-kilinc.com/fr/cv2/ http://avukat-kilinc.com/fr/cv2/#comments Fri, 19 Jul 2013 16:55:21 +0000 http://avukat-kilinc.com/fr/?p=9529 CURRICULUM VITAE

Avukat Fethiye Abi ÖZGÜLEÇ

 

 

 

Doğum Tarihi               : 24.12.1956

 

Uyruğu                         : T.C. vatandaşı

 

Medeni Hali                 : Bekar, bir çocuk

 

 

Eğitim Durumu

 

 

1972-1976                    : Afyon Kız Öğretmen Okulu

 

1976-1984                    : İstanbul Üniversitesi Hukuk Fakültesi

 

 

Avukatlık İş Tecrübeleri

 

 

1986-2001                    : İstanbul Barosu avukat

 

2001 yılından beri        : İzmir Barosu avukat

 

 

Yabancı Dil

 

İngilizce

 

 

Bilgisayar Bilgisi

 

Microsoft Office Programları: World, Excel ve Powerpoint

 

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Av. Fethiye ABİ ÖZGÜLEÇ http://avukat-kilinc.com/fr/av-fethiye-abi-ozgulec/ http://avukat-kilinc.com/fr/av-fethiye-abi-ozgulec/#comments Fri, 19 Jul 2013 16:33:17 +0000 http://avukat-kilinc.com/fr/?p=9530 Av. Fethiye ABİ ÖZGÜLEÇ

Av. Fethiye ABİ ÖZGÜLEÇ

Av. Fethiye Abi Özgüleç 1956 yılında Bursa Yenişehir de doğmuştur. İlk orta eğitimini Bursa Yenişehir lisesinde tamamlamıştır. Daha sonra liseyi Kütahya kız öğretmen okulunda okuyarak Afyon Kız öğretmen okulundan mezun olarak ilkokul öğretmeni olmuştur.

Av. Fethiye Abi Özgüleç, İstanbul Üniversitesi Hukuk Fakültesini 1984 yılında bitirmiştir ve İstanbul Barosunda avukatlık stajını stajını tamamlamıştır. 1986 yılında İstanbul Barosuna bağlı olarak serbest avukatlık yapmaya başlamıştır ve 2001 yılından bugüne İzmir Barosuna bağlı olarak avukatlık mesleğini sürdürmektedir.

Hukuk Büromuzun tecrübeli avukatlarından Av. Fethiye Abi Özgüleç, Gayrımenkul Hukuku, Kira Hukuku ve Alacak Hukukundan doğan uyuşmazlıklarla ilgili konularda hem danışmanlık hizmetleri sunmakta hem de Türk mahkemeleri önündeki uyuzmazlıkları takip etmektedir.

 

CV

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Av. Yüksel KAVAK KILINÇ http://avukat-kilinc.com/fr/av-yuksel-kavak-kilinc/ http://avukat-kilinc.com/fr/av-yuksel-kavak-kilinc/#comments Fri, 19 Jul 2013 16:14:56 +0000 http://avukat-kilinc.com/fr/?p=9527 Av.Yüksel KAVAK KILINÇ

Av.Yüksel KAVAK KILINÇ

İzmir Barosu’na kayıtlı Avukat Yüksel KAVAK KILINÇ, 1974 yılında Adana’da doğmuştur ve ilk, orta ve lise öğrenimini Adana’da tamamlamıştır. Lisans eğitiminden sonra Av. Yüksel KAVAK KILINÇ, İstanbul Barosu’na bağlı olarak avukatlık stajını tamamlamış ve 2001 ve 2004 yıllarında serbest avukatlık yapmıştır. Bu dönemde, Belediye, Kentbank, Halkbankası, Telekom, Renault-Mais gibi bir çok kurumun sözleşmeli avukatlığını da yapmıştır.

Av. Yüksel KAVAK KILINÇ, 2004 yılında ihtisas için gittiği Fransa’nın Strasbourg Robert Schuman Üniversitesi’nde, Aile Hukuku alanında Yüksek Lisansını tamamlayarak, aile hukuku uzmanı ünvanını almıştır. Av. Yüksel KAVAK KILINÇ aynı zamanda Avrupa İnsan Hakları Mahkemesi’nde üç aylık bir staj yapmıştır.

Yüksel KAVAK KILINÇ, Türk hukuku ve Fransız Aile hukuku ve taşınmaz hukukundan doğan uyuşmazlıklarla ilgili konularda hem danışmanlık hizmetleri sunmakta hem de Türk mahkemeleri önündeki uyuzmazlıkları takip etmektedir. Kendisi Aile Hukuku, Şirketler Hukuku, Ticaret hukuku, Gayrimenkul Hukuku, Ceza hukuku, İcra Hukuku ve Alacak Hukuku ile ilgili uyuşmazlıklarda Hukuk Büromuzun tecrübeli avukatıdır.

Av. Yüksel KAVAK KILINÇ hakkında daha detaylı bilgi sahibi olmak için ekteki CV’sine bakınız.

CV

 

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CV http://avukat-kilinc.com/fr/dr-umit-cv/ http://avukat-kilinc.com/fr/dr-umit-cv/#comments Fri, 19 Jul 2013 15:54:24 +0000 http://avukat-kilinc.com/fr/?p=9526 Av. Dr. Ümit KILINÇ

Doğum Tarihi            : 12.05.1977

Uyruğu                      : T.C. ve Fransız vatandaşı

Medeni Hali               : Evli, bir çocuk

Adres (Türkiye)         : Manas Bulvarı, Gündoğan İş Merkezi No : 24, Kat : 3 D : 17

Bayraklı/İZMİR

Adresse (Fransa)        : 14 Quoi Kleber, Strasbourg / Fransa

Telefon                       : 0(090) 232 461 41 58

0(033) 952 15 06 90

Mail                            : [email protected]

 

Eğitim Durumu

 

Eylül 2004 – Nisan 2009        : Uluslararası Hukuk Doktora Diploması (Fransa)

 

Eylül 2003 – Eylül 2004         : Yüksek Lisans Diploması (Fransa)

 

Eylül 1995 – Eylül 1999         : Lisans Diploması (Türkiye)

 

Deneyimler

 

Eylül 2012-Ağustos 2013                   Fransa Reunion Üniversitesi

Öğretim görevlisi

 

Mayıs 2012 tarihinden beri                 İzmir Barosu

Avukat

 

Temmuz 2008 – Nisan 2012              Avrupa İnsan Hakları Mahkemesi

Uzman Hukukçu

 

Nisan 2005 – Mayıs 2006                   Avrupa İnsan Hakları Mahkemesi

Uzman Hukukçu

 

Kasım 2000– Ocak 2003                    Değişik Barolar (Türkiye)

Avukat

 

Eylül 1999 – Eylül 2000                     Diyarbakır Barosu

Avukatlık Stajı

 

Yabancı Diller

Fransızca        : Anadil seviyesinde

 

İngilizce          : İleri seviye

 

Yayınlar

Kitap:

« La liberté d’expression en Turquie à l’épreuve de la Convention européenne des droits de l’homme (Avrupa İnsan Hakları Sözleşmesi ışığında Türkiye’deki ifade özgürlüğü) », (Yayınlanmış doktora tezi), Harmattan, 2010, Paris, s. 627.

 

Makaleler (Hakemli):

 

Fransızca

1.)    « La conception turque de la laïcité devant la Cour européenne des droits de l’homme (Türk laiklik anlayışı Avrupa İnsan Hakları Mahkemesi önünde) », l’Europe des Libertés, n° 30, mayıs-ağustos 2009, s. 2-13.

2.)    « La conception de la démocratie militante dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (Avrupa İnsan Hakları Mahkemesi İçtihatlarında Militan Demokrasi Anlayışı) », Revue Trimestrielle des Droits de l’Homme, Sayı 90, Nisan 2012, s. 298-328).

 

Türkçe

3.)    « Avrupa İnsan Hakları Mahkemesi İçtihatlarında İsim ve Soyisim Hakkı », Türkiye Barolar Birliği Dergisi, n° 89, temmuz-ağustos 2010, s. 242-276.

4.)    « Lautsi ve diğerleri Kararı : Hangi Din, Hangi Laiklik ? Avrupa İnsan Hakları Mahkemesi’nin Takdir Yetkisi Teorisi ile Devletin Dinlere Karşı Tarafsızlığı Prensibi Üzerine », Türk Adalet Akademisi Dergisi, Ekim 2011, Sayı 7, s. 93-122.

5.)    « Teknik araçlarla yapılan gizli izlemelerin Avrupa İnsan Hakları Sözleşmesi’ne uygunluğu sorunu », Türk Adalet Akademisi Dergisi, Nisan 2012, Sayı 9, ss. 1-32.

6.)    « Mahkemeye erişim hakkı ve Türk hukukunun AİHS ile uyum sorunu », İzmir Barosu Dergisi, janvier 2003, pp. 126-156.

 

Makale şeklindeki karar analizleri (Fransızca-Hakemli):

7.)    « Faut-il sacrifier le pluralisme pour la stabilité gouvernementale ? (Çoğulculuğu hükümet’in istikrarı için feda etmek gerekiyor mu ?) », l’Europe des Libertés, n° 27, Eylül 2008, s. 17-19.

8.)    « Une confirmation du caractère « vivant » de la Convention (Sözleşme’nin « canlı » karakterini teyidi) », l’Europe des Libertés, n° 28, Aralık 2008, s. 24-26.

9.)    « L’arrêt Herri Batasuna et Batasuna : une régression ou un revirement ? (Herri Batasuna ve Batasuna kararı : geriye dönüş mü içtihat değişikliği mi? »), l’Europe des Libertés, n° 30, mayıs-ağustos 2009, s. 25-27.

10.)                        « Les affaires de disparition échappent-elles à la compétence ratione temporis et à la règle du délai de six mois ? (Kayıplarla ilgili davalar zaman bakımından yetki ile (ratione temporis) ve altı aylık kuralın istisnasını oluşturur mu ?) », l’Europe des Libertés, n° 31, Aralık 2009, s.17-19.

11.)                        « La Cour se montre déterminée à s’attaquer aux problèmes structurels sur le terrain de la liberté d’expression (Mahkeme ifade özgürlüğü kanusunda yapısal problemlere karşı mücadelede kararlı) », l’Europe des Libertés, n° 31, Aralık 2009, s. 23-25.

12.)                        « Vers une nouvelle procédure d’arrêt pilote? (Pilot karar konusunda yeni bir prosedüre doğru mu?) », l’Europe des Libertés, n° 34, Ocak 2011, s. 23-25.

13.)                        « La procédure d’impeachment visant à destituer le chef de l’État est-elle compatible avec l’article 3 du Protocole n° 1 ? (Devlet Başkanının görevine son verilmesine ilişkin impeachment prosedürü 1 Nolu Protokölün 3. maddesi ile uyumlu mudur? », l’Europe des Libertés, n° 35, Mayıs 2011, (29-31).

14.)                        « La stérilisation d’une femme d’origine rom égale à la discrimination ? (Roman kökenli bir kadının kısırlaştırılması ayrımcılık oluşturur mu?) », l’Europe des Libertés, n° 37, Ocak 2012, ss. (  ).

 

Kısa karar analizleri: Ocak 2008 tarihinden beri l’Europe des Libertés dergisinde, Sözleşme’nin 11. maddesi ve 1 Nolu Protokol’ün 3. maddesi ile ilgili Avrupa İnsan Hakları Mahkemesi’nin kararının analizleri.

 

AİHM’de hukukçu ve Avrupa Konseyi’nde uzman olarak verilen seminerler

 

-20 Nisan 2010 : « Avrupa İnsan Hakları Mahkemesi’nin oluşumu ve işleyişi » (üniversite öğrencileri ve « Réussir aujourd’hui » Derneği’nin üyeleri)

 

-9 Şubat 2011 : « Avrupa İnsan Hakları Mahkemesi’nin rolü ve işleyişi » (Bahçeşehir Üniversitesi öğrencileri)

 

-10 Haziran 2011 : « Avrupa İnsan Hakları Sözleşmesi’nin 10. maddesi ve genel ilkeler » (Türk hakim ve savcılar)

 

-15 Aralık 2011 : « Avrupa İnsan Hakları Sözleşmesi’nin 5. maddesi ve genel ilkeler » (Türk hakim ve savcılar ve Hakimler Savcılar Yüksek Kurulu’nun bazı üyeleri)

 

-27 Şubat 2012 : « Avrupa İnsan Hakları Sözleşmesi’nin 5. maddesi » (Türk askeri hakim ve savcılar)

 

-19-20 Mart 2012 : « Avrupa İnsan Hakları Sözleşmesi’nin 6. maddesinin cezai yönü » (Türk Anayasa Mahkemesi’nin hakimleri ve raportörleri)

 

-18-19 Mayıs 2012 : « Toplanma ve dernek kurma özgürlüğü (Avrupa İnsan Hakları Sözleşmesi’nin 11. maddesi) » (Türk Anayasa Mahkemesi’nin hakimleri ve raportörleri)

 

-11-12 Haziran 2012 : « Mahkemeye ulaşma hakkı ve askeri idari yargı » ve « Çekişmeli yargı ilkesi ve askeri idari yargı » (Askeri Yüksek İdare Mahkemesi savcı ve hakimleri)

 

-20-21 Aralık 2012 : « İfade ve Basın Özgürlüğü’nün Avrupa İnsan Hakları Sözleşmesi’nde Korunması » (Türk askeri hakim ve savcılar)

 

Bilgisayar Bilgisi

 

Microsoft Office Programları: World, Excel ve Powerpoint

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Av.Dr.Ümit Kılınç http://avukat-kilinc.com/fr/avukat-umit-kilinc/ http://avukat-kilinc.com/fr/avukat-umit-kilinc/#comments Fri, 19 Jul 2013 15:36:35 +0000 http://avukat-kilinc.com/fr/?p=9524 Av. Dr. Ümit KILINÇ

Av. Dr. Ümit KILINÇ

Fransız ve Türk vatandaşı olan Av. Dr. Ümit KILINÇ, 1995-1999 yılları arasında Hukuk Fakültesini bitirmiş ve avukatlık stajını ve iki sene avukatlık yaptıktan sonra, Eylül 2004 yılında Fransa’da uluslararası hukuk alanında yüksek lisansını tamamlamıştır.

Av. Dr. Ümit KILINÇ, aynı zamanda Nisan 2005-Mayıs 2006 ve Temmuz 2008-Nisan 2012 yılları arasında toplamda 5 sene süreyle Avrupa İnsan Hakları Mahkemesi’nde (AİHM) uzman hukukçu olarak görev yapmıştır. 2004-2009 yılları arasında Fransa’da uluslararası hukuk doktorasını başarı ile bitirerek Hukuk Doktoru ünvanı almaya hak kazanmıştır. Eylül 2012 tarihinden Ağustos 2013 tarihine kadar Fransa Reunion Üniversitesi Kamu hukuku anabilim dalında öğretim görevlisi/yardımcı doçent olarak akademik çalışmalarına devam etmiştir.

Av. Dr. Ümit KILINÇ’ın Fransızca yazılmış bir kitabı ve Türkçe ve Fransızca yazılmış birçok akademik makalesi bulunmaktadır. Ayrıca Avrupa Konseyi tarafından organize edilen ve özellikle hakim savcıların insan hakları eğitimi ile ilgili birçok ulusal ve uluslararası seminere uzman hukukçu olarak katılmıştır.

Av. Dr. Ümit KILINÇ halen Fransa’nın Strasbourg Barosu ve İzmir Barosuna bağlı olarak hem Türkiye’de hem de Fransa da avukatlık yapmaktadır. Av. Dr. Ümit KILINÇ ayrıca Strasbourg Üniversitesi Hukuk Fakültesinde öğretim görevlisi olarak ders vermektedir.

Av. Dr. Ümit KILINÇ, Türk hukuku, Fransız hukuku ve uluslararası hukuktan doğan uyuşmazlıklarla ilgili konularda hem danışmanlık hizmetleri sunmakta hem de ulusal ve uluslararası uyuşmazlıklar ile ilgili olarak mahkemelerdeki uyuzmazlıkları takip etmektedir. Ağırlıklı olarak uluslararası insan hakları hukuku (AİHM), uluslararası ticaret hukuku, ceza hukuku, idare hukuku, yabancılar hukuku konularına odaklanmaktadır.

Av. Dr. Ümit KILINÇ’ın akademik yayınları, katıldığı seminerler, konferanslar ve kendisi hakkında daha detaylı bilgi sahibi olmak için ekteki CV’sine bakabilirsiniz.
CV

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